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étroitement lié au nom de M. Ingres, l’influence du maître a été d’abord si pieusement acceptée par le disciple, et proclamée par lui en tout temps avec une si vive gratitude, qu’on croirait qu’une sympathie instinctive existait dès l’origine entre les deux artistes, et qu’en se rapprochant l’un de l’autre ils obéissaient sciemment à une sorte d’harmonie préétablie, à une force d’attraction naturelle. Rien de moins exact pourtant. A Lyon, Flandrin n’avait peut-être pas entendu parler une seule fois de M. Ingres, dont les principaux ouvrages d’ailleurs n’étaient à cette époque ni lithographies ni gravés. En tout cas, à son arrivée à Paris (1829), il songeait si peu à devenir l’élève du peintre de l’Apothéose d’Homère, qu’il se dirigeait déjà vers l’atelier d’Hersent, pour qui le directeur de l’école de Saint-Pierre, Révoil, lui avait donné une lettre de recommandation. Chemin faisant, il rencontre un jeune peintre, son compatriote, autrefois parti de Lyon, lui aussi, avec une lettre à la même adresse, mais qui, après avoir vu au salon les tableaux de M. Ingres, s’était décidé à le choisir pour maître[1]. Puisque Flandrin pouvait choisir à son tour, pourquoi hésiterait-il à suivre cet exemple? Pourquoi, au lieu d’aller chercher auprès d’Hersent une doctrine et des enseignemens équivoques, ne recourrait-il pas à l’autorité d’un artiste dont les principes étaient aussi sûrs que l’expérience même et le talent? Flandrin se laissa persuader. Moitié confiance dans la vérité qu’on lui révélait, moitié désir de se retrouver sous la même discipline que son ancien camarade, il prit le parti d’agir dans le sens que lui indiquait celui-ci. Au bout de quelques jours, il était, ainsi que son frère, installé dans l’école de M. Ingres, où un autre Lyonnais, M. Sébastien Cornu, les avait d’ailleurs précédés.

Qu’allait-il cependant advenir, dans ce nouveau milieu, des anciens projets d’Hippolyte et des habitudes pittoresques qu’il avait contractées à l’académie de Lyon? Il était au moins difficile de concilier avec la soumission aux sévères doctrines de M. Ingres la fidélité aux leçons de Révoil. L’accommodement pouvait-il mieux se faire entre les études actuelles et les arrière-pensées qui auraient eu encore pour objet la conquête d’une place parmi les peintres de batailles ? Flandrin ne tarda pas à comprendre qu’il lui fallait non-seulement oublier ce qu’il avait appris jusqu’alors, mais aussi proposer à son ambition un but tout différent de celui qu’il s’était promis d’atteindre. Il lui arrivera bien encore, pendant les premières années de son séjour à Paris, de se servir du crayon lithographique ou de l’aquarelle pour retracer quelque fait analogue à ceux qui l’avaient d’abord si vivement préoccupé, quelque petite scène rela-

  1. M. Guichard, aujourd’hui professeur de peinture à l’école des beaux-arts de Lyon.