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donner satisfaction à chacun. Certes il serait aussi niais qu’injuste de ne voir dans l’éclatant succès obtenu par M. Ingres que le résultat d’une habile politique. Moins que qui que ce soit, nous serions tenté d’expliquer par l’adresse des calculs ou par les simples exigences du moment une gloire que justifient de reste la puissance des aptitudes personnelles et la grandeur des travaux accomplis. Ce que nous prétendons rappeler seulement, c’est que, il y a trente ans, par son talent et par les théories qu’il professait dans son école, M. Ingres n’attirait la réprobation formelle d’aucun des deux partis alors aux prises. Les souvenirs qu’il conservait des enseignemens de David, — bien qu’en matière de science et d’imitation de l’antique il remontât fort au-delà des traditions dont on avait nourri sa jeunesse, — ces souvenirs étaient un titre auprès de ceux qui faisaient de la pure résistance une question d’honneur pour eux-mêmes, et pour l’art national un moyen de salut. De leur côté, les novateurs se sentaient rassurés et jusqu’à un certain point secourus dans leurs prétentions par l’empressement de M. Ingres à rechercher et à exprimer les vérités caractéristiques, à réhabiliter l’étude immédiate de la nature, de la vie sans déguisement, du réel.

Par la conciliation de deux élémens en désaccord jusque-là, en divorce complet dans notre école, — la vraisemblance des types et la noblesse idéale du style, — M. Ingres avait donc à la fois fécondé la réforme accomplie jadis par David et consacré à sa manière quelques-unes des inclinations de l’art moderne. Il avait réussi à tirer le beau pittoresque des profondeurs mêmes de la nature, comme à vivifier l’imitation de l’antique par l’accent de l’inspiration personnelle et du sentiment. Là est son originalité véritable, son mérite principal. Tels étaient aussi les principes sur lesquels il fondait son enseignement, et que ses élèves acceptaient avec d’autant plus de confiance qu’une pareille doctrine avait à leurs yeux le double attrait d’une nouveauté dans le sens des idées progressives et d’une protestation, non moins nouvelle dans la forme, en faveur du passé.

L’empire exercé par M. Ingres sur les jeunes artistes qui se pressaient dans son atelier est un fait trop connu, trop bien attesté d’ailleurs par le nombre des talens éclos sous cette forte influence, pour qu’il soit besoin d’insister. En disant que le talent de Flandrin reçut, lui aussi, de la main du chef de l’école une impulsion décisive, nous répéterions ce que chacun sait et ce que le disciple, devenu maître à son tour, reconnaissait plus ouvertement et plus sincèrement que personne. Il est à propos seulement de faire remarquer quelle part, quelle large part, revient dans les heureux effets de cette action aux qualités particulières de celui qui la subissait.