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reproduire, s’il s’était agi de tracer ici, au lieu d’une esquisse, une image terminée, un portrait! Après avoir rappelé ce que Flandrin avait été comme fils et comme frère, ne devrait-on pas faire pressentir ce qu’il fut dans la seconde moitié de sa vie, lorsque Dieu lui eut accordé une nouvelle famille et imposé de nouveaux devoirs? Sans doute, l’austère jeunesse d’Hippolyte Flandrin répond des vertus et de la dignité de son âge mûr ; sans doute, on peut se fier à ce cœur si aimant, si dévoué, des tendres soins qu’il a dû prendre, du bonheur qu’il a reçu et donné. Qu’il nous soit permis de ne pas aller au-delà de ces élémens de certitude; nous ne saurions oublier qu’à ce foyer où l’on rechercherait les traces de l’homme éminent qui n’est plus, d’autres souvenirs subsistent qui n’appartiennent pas au public. À cette vie sur laquelle les regards auraient le droit de se porter, une autre vie a été trop étroitement unie pour qu’on n’en trahît pas les secrets, si l’on essayait de révéler ceux que la mort semble nous avoir livrés. Ce sera donc honorer encore la mémoire de Flandrin que de prolonger autour des êtres qu’il a le plus aimés l’ombre où il s’abritait avec eux et de rendre aujourd’hui à ce qui survit de lui-même l’hommage d’une sympathie discrète et d’un silencieux respect.

Depuis l’époque où il était revenu en France, après avoir passé cinq années à la villa Médicis, jusqu’au jour où il découvrait les peintures de la nef de Saint-Germain-des-Prés, Hippolyte Flandrin avait souvent formé le projet d’aller revoir Rome. A peine y arrivait-il, trente ans auparavant, qu’il parlait déjà dans ses lettres des regrets qu’il éprouverait au départ, et quand le moment fut venu de quitter cette Académie de France où il avait connu pour la première fois le travail exempt des inquiétudes matérielles et secouru par les plus beaux exemples de l’art, il écrivait encore, comme pour justifier ses anciens pressentimens : «Je viens de finir le temps de ma pension, et je t’avoue que, malgré la pensée de retrouver bientôt mon pays, mes parens, mes amis, ce n’est qu’avec regret, et avec un regret bien vif, que je vois disparaître ce temps, ce morceau de ma vie. J’aurais pu être plus heureux cependant, puisque dix-huit mois de fièvre ne sont pas propres à faire voir les choses en beau; mais j’ai trouvé ici tant de biens qu’on ne peut trouver ailleurs, et dont la privation me semble d’avance insupportable ! Qu’il m’en coûte d’avoir maintenant à abandonner tout cela ! Il est vrai que la perte est immédiate, et que les compensations sont encore loin : peut-être les apprécierai-je mieux de plus près. » On sait ce que furent pour lui ces dédommagemens et quels succès vinrent récompenser les témoignages de la science et des grandes doctrines dont il avait fait provision à Rome. Le désir ou plutôt la passion de retourner aux lieux