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ractères de sa pratique, selon qu’il s’agit pour lui de décorer un mur ou de couvrir une toile, d’employer des couleurs à la cire ou des couleurs à l’huile. Or cette différence entre les ressources de chaque procédé est trop judicieusement observée dans les ouvrages de Flandrin, elle conseille la main de l’artiste avec une autorité respectée de trop près, pour qu’on puisse impunément séparer ici l’élément technique de la manière dont il est mis en œuvre, et la cause même du résultat.

Nous en dirons autant du coloris par rapport aux formes qu’il achève d’animer. Que la couleur, dans les peintures de Flandrin, n’ait ni l’éclat ni la richesse qu’on admire dans les tableaux vénitiens ou flamands, je le sais de reste, comme tout le monde; mais qu’il y ait là matière à un reproche ou même à un regret, voilà ce que je nie, attendu que, si cette couleur était autre, elle démentirait le dessin auquel elle se trouverait associée, sans aucun bénéfice d’ailleurs pour l’effet pittoresque, pour le relief de l’ensemble. Que de fois cependant n’a-t-on pas rêvé je ne sais quelle alliance impossible entre les principes les plus nécessairement ennemis! Qui de nous n’a entendu quelque honnête homme regretter gravement que les figures dessinées par Michel-Ange n’aient pu être coloriées par le Corrège, ou que de notre temps la palette d’Eugène Delacroix n’ait pas prêté ses ressources à la main d’un savant dessinateur? il n’y aurait qu’un malheur à ce jeu : c’est qu’au lieu de provoquer une heureuse réciprocité d’action, il neutraliserait absolument les qualités de part et d’autre. Emprisonnées dans des contours austères, les teintes, chères au coloriste, n’exprimeraient plus qu’une opulence dépaysée ou une grâce affadie par le contraste, tandis qu’en s’affublant de ces ornemens d’emprunt l’œuvre du dessinateur se désavouerait elle-même et cesserait, à vrai dire, d’exister. J’en appelle sur ce point à l’expérience de tous les peintres et surtout aux grands spécimens de l’art, à quelque époque qu’ils appartiennent. Il est sans exemple qu’un maître n’ait pas trouvé pour rendre sa pensée un coloris analogue aux caractères de son dessin, parce que, comme le dit Flandrin dans une lettre que nous avons citée, « le coloris est la conséquence nécessaire du vrai dessin dans le grand art. » Telles tendances à définir la forme dans un sens particulier impliquent infailliblement l’instinct des moyens les plus propres à confirmer par le ton l’intention qu’on a eue, l’effet qu’on a voulu produire. Les travaux qu’a laissés Flandrin sont un argument de plus à l’appui de cette vérité, et l’on aurait bien mauvaise grâce à blâmer comme un témoignage d’impuissance ce qui résulte en réalité de l’unité même des principes et de la nature du sentiment.

Quant à cette opinion assez générale que le talent de Flandrin n’a dû ses développemens, sa vie même, qu’à l’action exercée sur lui