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man du Renart jusqu’au Petit Jehan de Saintré, — du XIIIe à la fin du XVe siècle, — se continua en se popularisant cette littérature satirique et libre d’allure dans laquelle se trahirent la fine malice et les instincts frondeurs de l’esprit gaulois. Durant cette longue période, il passe sur la France comme un souffle méridional qui la réchauffe et la met en belle humeur, il y a comme une réaction contre l’esprit germanique, qui s’était perpétué sous la dynastie des Capétiens. Le génie de la vieille France pieuse, mystique et prête à sacrifier aux espérances de la vie future les biens de la vie présente, avait péri tout entier avec saint Louis sous les murs de Tunis.

Cependant, depuis la fin du XIIIe siècle jusqu’à Louis XII, la langue française marche lentement vers la transformation qu’elle subira à l’époque de la renaissance. Il y a comme un temps d’arrêt qui s’explique par les longues guerres contre les Anglais, la lutte contre les ducs de Bourgogne et les occupations terriblement sérieuses de Louis XI. Ce n’est pas que l’on n’ait beaucoup écrit à cette époque ; mais les traductions ont le pas sur les œuvres originales, l’imagination semble sommeiller, la poésie a replié son aile, rien de nouveau n’annonce la vitalité de cette littérature languissante. Le siècle suivant se recommande par des productions beaucoup plus empreintes de spontanéité ; la chronique et la poésie sont dignement représentées par Froissart, Commines, Chartier, Charles d’Orléans, Villon ; toutefois la langue ne se dégage point encore de cet archaïsme, qui la gêne et nuit à la liberté de ses mouvemens. Il lui manque le nombre et aussi la sonorité, qualités précieuses qui n’ont cessé de distinguer la langue d’oc, l’heureuse rivale de la langue d’oil. Tandis que celle-ci ressemble encore à un enfant dont la prononciation reste défectueuse, celle-là, émancipée depuis sa naissance, brille d’un vif éclat et prend sa place parmi les idiomes méridionaux qui ont un rang dans l’histoire. Voyez cependant ce qui advint. Cette littérature du midi resta sans influence sur notre langue française. La langue d’oil ou langue romane convenait à la forte race du nord, destinée à devenir dominante dans toutes les Gaules ; cette goutte de sang germain que les Francs avaient infusée dans ses veines repoussait la molle prononciation et la douceur italienne de la langue d’oc, si gracieuse dans la bouche des troubadours. Il fallait à la nation française un idiome plus rude, plus énergique, qui exprimât mieux les aspirations de ce peuple hardi, entreprenant, qui avait établi sa capitale si près des frontières de la Germanie, d’où pouvait venir le danger. Les adeptes de la gaie science chantaient leurs joyeux refrains, mais les chroniqueurs français s’appliquaient à réduire leur langue rebelle, à la plier sous le joug d’une prose concise et bien disciplinée. Que fût-il arrivé, si la France avait eu sa capitale à Tou-