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les noms des localités, a fini par s’éteindre lorsque le français, qui s’imposait partout, monta par degrés jusqu’à eux.

Il faut donc se rapprocher de l’Ile-de-France, si l’on veut interroger les patois d’origine romaine, aussi vieux que le français, et qui ont contribué plus tard à former la langue que nous parlons aujourd’hui, ceux du midi s’étant constitués sans elle, en dehors de son action. Prenons les dialectes picard, normand, berrichon et bourguignon; nous nous convaincrons facilement qu’ils ont aidé à la formation de l’idiome perfectionné qui est devenu celui de la France entière. Sans doute il serait difficile d’établir d’une façon exacte la part qui revient à chacun dans ce grand travail, mais il suffit de les étudier avec un peu d’attention pour y reconnaître les caractères principaux de notre langue. Celui de la Bourgogne semble avoir acquis de bonne heure un certain degré de correction : à mesure qu’il se romanise et s’éloigne de ses origines germaniques, il se rapproche du français du nord; mais dans son allure un peu méridionale se reflète le génie de ces Burgondes, le plus doux, le plus civilisé des peuples de race teutonique, qui adopta le christianisme dès le IVe siècle, et s’associa plus tard avec tant de bravoure et d’élan à l’ambition de ses ducs. Le patois bourguignon aura pour effet de communiquer à la langue française, coudoyée de trop près, au nord et à l’est, par le wallon et le rouchi, un peu de cette accentuation et de cette vivacité qui lui font défaut. Le patois du Berri, implanté au centre même de la France, nous fournira bien des mots celtiques ou gaulois qui suppléeront ceux que nous ne tirerons pas du latin, et serviront à donner à notre langue cette physionomie tempérée que l’influence trop marquée du nord et du midi ne pouvait que lui enlever. De la Normandie viendra la prononciation parisienne, le grasseyement, qui a sa source dans les lettres aspirées des dialectes germaniques. L’apport du dialecte normand consistera dans un certain nombre de mots qui, avant d’arriver à l’embouchure de la Seine, ont suivi, avec les peuples de race finnoise et saxonne, les rivages de la Baltique et de la Mer du Nord. N’est-ce pas du haut-allemand que sont venus les premiers termes de marine usités parmi nous? Enfin de la Picardie et de la Champagne, pays de plaines en contact avec les Flandres et la Lorraine, l’habitant de l’Ile-de-France a reçu cette façon de parler lourde et traînante qui paraît, à en juger par l’orthographe des anciens textes, avoir longtemps dominé à Paris. Peu à peu la capitale répudiera cet accent provincial pour s’en former un autre fortement marqué, et qui lui appartient en propre. Par le wallon et le rouchi, qui est le patois du Hainaut, s’opéra la fusion entre le latin et la langue française de l’époque archaïque. Ces deux dialectes, un peu ternes.