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récentes rectifications que le concours intelligent des localités a permis d’accomplir. Chemin faisant, on peut prendre une idée des deux modes déjà signalés plus haut que revêt l’exploitation agricole à côté du travail industriel. Ici, on gravit des pentes couvertes de pâturages où paissent des troupeaux de vaches dont le lait sert à la fabrication des fromages[1]. Là, on se trouve en pleine forêt, au milieu des essences de bois si diverses qu’exploite la cognée du bûcheron. Ce sont les hêtres et les sapins, hôtes favoris de ces montagnes, qu’on coupe, les premiers à quarante ans, les seconds de soixante à quatre-vingts, qui s’entre-mêlent d’abord, puis peu à peu se séparent à mesure qu’on s’élève et que la température et le sol deviennent trop sévères pour le hêtre. Ce sont des frênes, des érables, des chênes, des coudriers, des saules à larges feuilles, mêlant leurs teintes, déjà si multiples, aux nuances encore plus variées des acacias, des cytises, des cornouillers blancs et sanguins, des troènes, des grandes aubépines et des rosiers gigantesques. A mi-route, au village de Longchaumois, renommé pour la fabrication des mesures linéaires, finit la circonscription de Saint-Claude et commence celle de Morez. Un peu plus loin, le village de La Mouille, singulièrement divisé en trois groupes distincts et ayant son église perchée à l’écart sur une éminence, dépend entièrement du groupe morézien. On n’a plus pour gagner la ville qu’à descendre une pente extrêmement rapide, qui s’enfonce brusquement à environ sept cent vingt pieds. Aussi, une fois à Morez, on croirait volontiers de prime abord qu’on se retrouve à la même élévation qu’à Saint-Claude[2], lorsqu’en réalité, grâce à l’ascension lentement effectuée avant d’atteindre La Mouille, on est encore à huit cents pieds à peu près au-dessus du chef-lieu de l’arrondissement.

A coup sûr, ce n’est pas ici un lieu de plaisance : peu ou point de blé, peu ou point de légumes, peu ou point de fleurs, peu ou point de fruits. On ne s’installe à demeure à Morez que pour travailler. En donnant à la vie un stimulant et un but, le travail industriel qui alimente ce district le rend en même temps habitable. Le génie du travail règne à Morez en maître absolu; il y a tout créé. La ville date de ce siècle, son développement même est postérieur à 1830. Avec ses cinq mille habitans, avec les six mille ouvriers qu’elle tient à sa solde dans sa circonscription, elle ne nous offre pas sans doute l’exemple d’un accroissement comme il s’en rencontre dans le domaine de nos industries textiles, à Roubaix, à Saint-Quentin, à Elbeuf Néanmoins il est peut-être plus surprenant d’avoir vu se con-

  1. Le district de Morez en produit pour 900,000 fr. environ par année.
  2. L’illusion est d’autant plus aisée qu’à Morez on a immédiatement au-dessus de sa tête deux montagnes, l’une de 3,444 pieds et l’autre de 3,549.