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jusqu’à l’imprudence un homme que l’on accusait au contraire de mener sa barque avec une habileté peut-être excessive.

Cette habileté consista principalement à suivre pour ainsi dire pas à pas la tradition du devancier populaire dont l’immense vogue avait été son premier stimulant. Nous l’avons vu adopter pour Vanity Fair le mode de publication que Pickwick club avait inauguré. De même allait-il, en 18’51, entreprendre une série de lectures comme celles de Charles Dickens, et, comme lui, exploiter tour à tour à Londres, dans les principales villes des trois royaumes, puis au-delà même de l’Océan, la curiosité qui s’attachait naturellement à leur personne, partout où leurs ouvrages avaient pénétré. Le sujet traité par l’auteur de Vanity Fair était on ne peut mieux choisi. Placé au premier rang des humoristes contemporains, il commentait ses aïeux littéraires les plus éminens, Swift, Congreve, Steele, Hogarth, — Fielding, son préféré, — Sterne, qu’il a malmené rudement, — Smollet, Goldsmith et bien d’autres, parmi lesquels on s’étonne de rencontrer Pope et Prier. Ces lectures constituaient au demeurant un excellent cours anecdotique sur les principaux écrivains du XVIIIe siècle, et le succès qu’elles ont obtenu comme livre a confirmé celui qui les accueillit lors de la première audition ; mais dans ce succès lucratif, dans l’heureuse issue de cette spéculation, tout revient-il au mérite littéraire de l’œuvre? Les mêmes commentaires, les mêmes enseignemens eussent-ils attiré la foule aux Willis’s Rooms, et plus tard dans vingt autres enceintes du même ordre, si le professeur n’eût pas été le romancier à la mode? Dans cette curiosité tout individuelle, toute matérielle, dont il était l’objet, n’y avait-il pas quelque chose de répugnant pour un homme d’intelligence? Si, pour surmonter cette répugnance, pour affronter avec moins d’ennui ce qu’une exhibition de ce genre doit avoir de pénible, il tâchait de s’en consoler en attribuant à ses auditeurs un désir de s’instruire, une préoccupation sincère du sujet traité qui, chez les trois quarts d’entre eux, n’existaient certainement pas, n’y avait-il pas là un malentendu volontaire, une transaction de conscience que le subtil analyste, dans ses dissections acharnées, n’aurait pas manqué de découvrir et de dénoncer, les rencontrant chez autrui? Je pose la question sans la résoudre, et me demande simplement ce que Thackeray aurait dit de Pope étalant sa bosse aux regards des badauds, ou de Sterne racontant le Voyage sentimental — comme M. Albert Smith son ascension au Mont-Blanc, — à un auditoire composé de guinées plus ou moins intelligentes.

Pour éclaircir la question, prenons l’exemple même qu’il nous fournit. Les journaux de Londres s’étaient bornés à quelques re-