Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/942

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si fatale. Tel est le problème à résoudre dans cette branche du service des chemins de fer qu’on nomme l’exploitation, problème redoutable où il faut d’abord considérer la grandeur des masses en mouvement. Un train express pèse de 80 à 120 tonnes; un convoi de marchandises, remorqué par l’une de ces grosses locomotives auxquelles l’ingénieur Engerth a donné son nom, a un poids de 600 tonnes et une longueur de 350 mètres. Des wagons ordinaires pèsent 15 tonnes en charge, c’est-à-dire trois ou quatre fois autant que les anciennes voitures des messageries. Quant aux locomotives, celles du poids de 30 tonnes ne suffisent plus; les Engerth dépassent 50 tonnes, et l’on commence à voir sur diverses lignes des machines formidables où la puissance motrice est développée par quatre cylindres à vapeur et douze roues propulsives. Est-ce là le suprême résultat du génie d’innovation? La marine, qui montrait jadis avec orgueil un navire à voiles de 1,200 tonneaux, a maintenant des steamers qui en jaugent 5,000 et davantage. Qui peut dire si les chemins de fer, eux aussi, n’auront pas un jour leur Great-Edstern ?

On sait que le défaut de ces géans de la mer est d’être ingouvernables, et quand on considère le péril qui menace la plus légère voiture emportée dans nos rues par la course furieuse d’un cheval, on peut bien s’épouvanter de l’indocilité d’un train de chemin de fer sous la main du conducteur. Nulle part plus que sur les rails il n’eût donc été rationnel de réduire les masses en mouvement; mais que les besoins publics sont loin de se prêter à l’application de cette loi théorique! A l’origine, sur les lignes de Liverpool et de Saint-Étienne, on ne remplissait trois wagons qu’aux bons jours; aujourd’hui les trains du dimanche ne peuvent compter moins de vingt-quatre voitures (nombre maximum autorisé), et chaque année l’importance des transports s’accroît en personnes et en choses.

En Angleterre, a-t-on dit, les trains sont moins redoutables par leur masse, et le continent, qui a partout adopté nos usages français, offrirait sous ce rapport moins de sécurité. Cette remarque n’est vraie que pour les longs trains à petite vitesse, qui donnent de si beaux bénéfices aux actionnaires, et que remorquent des locomotives-colosses. C’est qu’en Angleterre la célérité des transports passe avant tout autre besoin, afin de lutter contre la navigation, dont nous ne connaissons pas assez les merveilles en France. Puis les établissemens anglais ont rarement à leur portée les vastes magasins de réserve que possèdent sur place nos usines alsaciennes ou normandes. Le prix élevé des terrains limite la fabrique ou l’entrepôt à la superficie rigoureusement nécessaire. Ces établissemens ont leur réserve dans les docks célèbres de la Tamise et de la Mersey. Les chemins de fer sont le trait d’union quotidien des docks et des