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Nous sommes à cet égard plus sévères que les Anglais. Chez nos voisins, le voyageur peut assurer sa personne contre les risques du chemin de fer, comme on assure sa ferme contre le feu ou la grêle. Il lui suffit de prendre son ticket d’assurance au bureau des places; moyennant une modeste prime ainsi payée, on a son indemnité réglée d’avance; il est alloué à la victime ou à ses représentans telle somme pour un bras, pour une jambe, telle autre pour la vie : le tarif est affiché dans la gare. En France, où cette réglementation n’a pu s’établir, les accidens coûtent bien plus cher aux compagnies, et l’on comprend plus sévèrement leur responsabilité ; on demande à la direction d’un chemin de fer non-seulement la vigilance, mais ce vaste génie qui ne laisse rien à l’imprévu, qui précise d’emblée dans l’esprit toutes les conséquences futures d’un système. En Angleterre, le directeur d’un chemin de fer est soumis à moins d’exigences. Qu’un accident vienne jeter dans le public une émotion égale à celle que produisent en France les mêmes catastrophes, on recherche si les règlemens ont été suivis, si on a fait usage des signaux indicateurs, et, dans le cas où il faut conclure à l’affirmative, le coroner, assisté du jury compétent, rend un verdict de « désastre douloureux » qui porte enseignement pour l’avenir, mais n’entraîne aucune punition pour le passé. Dans les gares, tandis qu’à l’encontre de nos coutumes les halles à marchandises ont à toutes leurs portes l’écriteau : no intrance for busines (n’entrez là que si vous y avez affaire), les halles à voyageurs sont librement ouvertes au public. La surveillance y est presque nulle, va qui veut sur la voie à ses risques et périls, car les railways sont assez populaires pour que chacun en connaisse le danger et la défense écrite de s’y exposer. Nulle part la célèbre maxime anglaise du self-government n’est plus appliquée que sur les chemins de fer; mais aussi rien n’est plus difficile que les enquêtes lorsque l’appréciation d’un accident est livrée à l’autorité; les témoignages ont besoin de se contrôler et de se multiplier en nombre infini. Pour les provoquer, en l’absence de tout agent préposé à la surveillance, on a recours souvent à un moyen qui répugne à nos mœurs, la délation publique intéressée. On pose une affiche promettant une récompense à celui qui donnera des indications propres à guider l’autorité dans ses recherches. Qui n’a vu sur les murs de Londres de curieux placards en ce genre? Un jour, nous remarquâmes trois affiches côte à côte dans une gare de chemin de fer : l’une promettait 20 guinées pour la découverte d’un maniaque qui, en allant à Richemond, avait mis en pièces la garniture de son wagon; l’autre placard annonçait le don d’une même somme à qui aiderait à la recherche d’un enfant enlevé à la porte de son père; le troisième offrait 5 guinées pour faire retrouver le destructeur d’une pompe publique.