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bien et de mal, de force et de faiblesse, de grandeurs et de misères, que des convulsions qui agitent maintenant ce pays sortira un monde politique dans lequel nous sommes appelés à tenir une place. La Chine, depuis quatorze ans, est en proie à une rébellion dont les forces, il est vrai, s’éteignent, mais dont les germes resteront. Au Japon, des luttes intestines sont près d’éclater; en Cochinchine, un tiers des provinces, profitant des embarras que causait au gouvernement la guerre avec la France, sont entrées, il y a deux ans, dans une révolte ouverte qui menace à chaque instant de se réveiller. Partout, dans ce coin du monde, s’opère un travail intérieur qui semblerait marquer la clôture des erremens séculaires et traditionnels que les sociétés y ont suivis jusqu’à ces derniers temps. Quelle transformation attend donc ces empires vieillis et ces civilisations surannées? On ne le devine pas encore; mais ce qui apparaît visiblement, c’est que ces peuples tendent à sortir de leur isolement, à secouer leur immobilité et à s’agréger au faisceau de la grande famille humaine. L’Europe et par conséquent la France, à qui ces changemens promettent l’ouverture de voies et de débouchés nouveaux, ne sauraient contempler d’un œil insouciant les révolutions qui s’accomplissent en Chine; il faut qu’elles se préoccupent des perspectives qu’elles leur offrent, et toute nation réellement soigneuse de ses intérêts et de son renom doit se tenir prête à jeter au besoin dans les événemens son influence ou son épée.

On s’occupera tour à tour ici des trois élémens d’action que la France possède en Chine : le commerce, l’intervention dans les affaires intérieures du Céleste-Empire, et les missions. L’intervention, on le sait, a revêtu un double caractère : quand la France et l’Angleterre ont été amenées à prêter au gouvernement tartare leur appui contre la rébellion des Taï-pings, elles ont procédé de deux manières : directement, en marchant avec leurs propres armes contre les rebelles là où leurs intérêts étaient engagés; indirectement, en permettant à leurs nationaux de se mettre au service de la dynastie régnante, et de l’aider à sortir de la crise terrible qui la secouait. On essaiera de montrer les avantages que les deux nations ont retirés de cette généreuse assistance, et d’indiquer par quels moyens chacune d’elles peut conserver dans l’avenir l’influence et l’action commerciale qu’elle a conquises dans l’extrême Orient.


I.

Le chiffre d’affaires qui résulte annuellement pour la France de l’état actuel des relations européennes avec la Chine s’élève à 200 millions au moins. Sur cette somme, 135 millions s’appliquent