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vier 1863 les troupes s’avancèrent vers la préfecture de Chao-ching, ville de cinq lieues de tour et centre des districts qui produisent les soies solides connues sous le nom de taysaams.

Il n’y avait plus à la tête des Franco-Chinois qu’un seul commandant, le lieutenant de vaisseau Le Brethon de Caligny; son collègue, grièvement blessé sur les barricades de Shang-yu, ne pouvait songer à faire campagne : il restait chargé d’envoyer l’argent et les munitions à la colonne expéditionnaire. Il ne tarda pas à recevoir la visite du gouverneur chinois de Ning-po, qui, d’un air triste et soucieux, lui dit : « Chao-ching ne sera pas pris. — Et pourquoi donc? demanda l’officier. — Nous avons consulté les devins; ils nous ont répondu que les souffrances du pays n’avaient pas encore atteint la mesure fixée par le destin, et ils ont prédit qu’on ne s’emparerait pas de la ville avant la première période du deuxième mois lunaire de l’année prochaine. » On était alors à la fin du onzième mois lunaire; les devins renvoyaient donc le succès à deux mois de là. Leur prédiction, hélas! s’est accomplie, et la fatalité vint s’abattre sur le contingent. M. Le Brethon ne put amener ses troupes sous les murs de Chao-ching qu’après des fatigues inouïes, au milieu de la neige et d’un froid très vif. Les barques qui portaient le convoi s’échouèrent plusieurs fois dans la rivière de Shang-yu; elles eurent ensuite, pour entrer dans les canaux qui mènent à la ville, à franchir les barrages qui servent d’écluses. Ces barrages sont des plans inclinés en terre sur lesquels il faut hisser les barques, pour les faire ensuite glisser de l’autre côté. Quelquefois les paysans installent pour cette opération de grossiers cabestans, le plus souvent ils n’y emploient que la force des bras; mais ce qu’ils font assez facilement pour des barques ordinaires devenait fort difficile avec des chalands chargés de canons et de lourdes munitions. On réussit cependant à franchir ces obstacles, et l’on arriva devant la ville sans que les rebelles eussent tenté d’arrêter la marche des troupes. Ils se fiaient avec raison à leur formidable système de défense. Un canal, large de 50 mètres, faisait le tour des remparts et laissait à peine au pied des murs assez de place pour y planter une échelle. Ce canal se rattachait par plusieurs issues à de grands lacs qui permettaient de venir inopinément tourner les assiégeans. Les murs n’étaient accessibles que du côté des portes, et dans les grandes villes chinoises c’est toujours le point le mieux fortifié : elles se composent d’un tambour extérieur relié par deux portes solides. Les Taï-pings, pour redoubler leur sécurité, avaient construit un deuxième tambour extérieur, fermé par une voûte basse semblable à la voûte de la lunette du bastion central à Sébastopol; ils avaient eu soin aussi de couper les ponts jetés sur le