Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/993

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sionnaires de l’intérieur répondent que la connaissance de notre langue serait inutile à leurs chrétiens, tandis que le latin leur est indispensable pour comprendre les textes sacrés; ceux du littoral allèguent que leurs élèves pourraient, soit par des conversations avec des compatriotes de mauvaises mœurs, comme il s’en trouve malheureusement dans les ports de mer, soit par des livres contraires aux dogmes, corrompre leurs croyances et celles des chrétientés. Quoi qu’il en soit, l’œuvre des missionnaires est aux yeux de tous, mandarins et peuple, une œuvre éminemment française. Lorsque les missionnaires réclament auprès des mandarins pour qu’ils assurent la protection des fidèles, c’est à la France que les mandarins croient déférer, et c’est à la France que les fidèles croient devoir leur protection. Les vexations auxquelles ceux-ci étaient constamment en butte quand il s’agissait de les faire souscrire aux frais des cérémonies païennes ont été adoucies par l’intervention des missionnaires, mais elles n’ont cessé complètement que lorsque notre légation eut obtenu un ordre impérial qui dispensait les sectateurs de la religion catholique de ces souscriptions populaires. Il y a donc un accord efficace entre les ministres de la religion et les agens du gouvernement français.

On ne peut non plus ignorer la part que les missionnaires ont prise dans les luttes où se trouvait engagé notre drapeau. A Shang-haï, les pères jésuites prêtèrent une utile coopération aux troupes alliées, lorsqu’elles marchèrent contre les rebelles. A leur voix, les paysans sortirent en foule de leurs villages, le sabre ou la pique à la main et le turban tricolore sur la tête. Ce turban indiquait clairement par ses couleurs qu’en leur annonçant l’arrivée du secours qu’ils attendaient avec tant d’impatience, on avait eu soin de leur montrer la France marchant en première ligne. Au milieu d’eux se trouvait un homme vêtu du costume indigène, à la figure hâlée, aux yeux vifs et intelligens, aux joues rougies par l’excitation du travail et de la fatigue : c’était le père Lemaître, supérieur de la mission des jésuites. On le voyait partout : ici, il procurait des coulies, là des bateaux, aux soldats des provisions, aux amiraux des guides et des renseignemens. Dans toute éventualité. Anglais comme Français s’écriaient : « Où est le père Lemaître? » Il était l’âme de l’expédition. Après la capture d’une ville, on lui remettait les prisonniers des rebelles que l’on avait pu délivrer; il employait alors ses soins à leur procurer des ressources et à les garantir des vengeances des mandarins. Son zèle lui a été fatal; il contracta les germes d’une maladie qui, après lui avoir enlevé graduellement ses forces, finit par l’entraîner au tombeau. A la même époque, les jésuites donnèrent asile dans leur propriété de Tong-ka-dou à plus de dix mille