Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/995

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les renforts n’arrivant pas, ils battirent en retraite. Les Chusanais surent bien reconnaître que c’était l’énergie de l’évêque qui les avait sauvés.

On ne peut donc nier que nos missionnaires n’aient servi la politique française en Chine par leur coopération dans la guerre et par leur autorité sur une partie des populations. La révolte de ces Taï-pings qui se disaient les frères des chrétiens et qui avaient emprunté quelques lambeaux de doctrines au catéchisme ne leur avait pas d’abord été antipathique; mais lorsqu’ils virent les excès et les ravages de ces hordes de bandits, lorsqu’ils apprirent que la France allait les combattre, ils se tournèrent sans hésiter vers le drapeau de la patrie, et exposèrent leur vie pour cette dynastie mantchoue qui les avait si longtemps et si cruellement persécutés. C’est donc ajuste titre que la France les couvre de sa protection. Leur œuvre ne peut que grandir.


Telle en définitive que s’offre à nous la situation de la Chine depuis la fin de 1862, elle prouve clairement que la France possède aujourd’hui dans cet empire un triple moyen d’influence : les relations commerciales, l’introduction de ses nationaux auprès du gouvernement chinois, et l’œuvre des missionnaires. Avec de la persévérance et de l’esprit de suite, notre pays tirera de cette situation des avantages politiques et matériels qui le paieront des sacrifices faits pour planter notre drapeau sur ce sol lointain à côté du drapeau des autres nations occidentales. Il ne faut pas cependant se faire illusion, ni s’imaginer que nous y prendrons tout d’un coup une position égale à celle de l’Angleterre, depuis si longtemps établie dans ces contrées. On s’est étonné que la France, après l’expédition de Pékin, n’eût pas revendiqué la possession d’un port qui pût rivaliser avec le port anglais de Hong-kong, et l’on parlait des îles Chusan ; mais que serait devenu ce port entre nos mains avec les faibles ressources dont nous disposons actuellement? Quel miracle y eût attiré les navires? Pendant combien d’années serait-il demeuré sans vie, délaissé même de nos nationaux, ne représentant qu’un vain nom sur la carte commerciale, et offrant aux yeux de tous un triste objet de comparaison avec Shang-haï, Hong-kong et Ning-po? D’autres personnes demandaient que l’on occupât une province; mais, en supposant que les nations rivales eussent consenti à cette conquête, la législation chinoise met entre les mains du gouvernement une arme qui nous eût empêchés d’en retirer aucun bien. Cette arme est un système de responsabilité d’après lequel un sujet chinois, s’il parvient personnellement à fuir la vindicte de l’état, expose tous ses parens à être punis à sa place dans leurs personnes