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insouciance gauloise se réveillait vite dans un éclat de rire. Aujourd’hui tout est changé. Quoique la voix plaintive de Murger attriste encore notre oreille, nous ne sommes plus au temps de Villon ; les faits et les circonstances sociales n’ont plus comme autrefois aisément raison de l’homme viril. Si, depuis les legs de Villon, quelque chose s’est accru et a prospéré dans la grande famille, des clercs parisiens, c’est moins le patrimoine de certaines douleurs imméritées que celui de certaines faiblesses. Pour revenir à M. Campaux, ses vers ne nous révèlent point un déshérité de la pire sorte. Les cordes qu’il touche n’ont que de sourdes vibrations ; mais après tout c’est bien là le ton modeste des idées et des sentimens du poète. En laissant à l’un ses manuscrits, sa guitare, son encrier, sa bibliothèque, à l’autre son paravent, son chibouck, ou un pot de bière, M. Campaux, malgré son habileté de versificateur et une certaine facilité d’émotion légère, ne réveille point la curiosité et ne saisit pas notre cœur. On se dit, après la lecture de son testament, qu’il rentre, par les sentimens et par les idées, dans la foule de ces rêveurs tranquilles dont l’haleine ferait à peine rider la surface de l’eau et qui ne sortent pas de l’imitation.

En résumé, chez tous ces poètes contemporains, que l’on vient de passer rapidement en revue, l’originalité et l’à-propos font défaut à la conception. Ils ont trop l’air de chanter pour eux et à demi-voix ; leurs livres sont plutôt de longs monologues qu’une suite d’hymnes adressés au public lui-même, et où celui-ci se retrouve, reconnaît comme en un miroir ses constantes préoccupations. Quand Victor Hugo célèbre l’Orient dans ses Orientales, ses poèmes, ne l’oublions pas, répondent à des rêves communs à une foule d’esprits ; ils éveillent un immense écho au fond des âmes, car ils éclatent au moment où le monde arabe et asiatique excite la curiosité, tient le regard attentif. Si le poète alors se fait, par l’inspiration, tour à tour turc et persan, espagnol et hellène, c’est qu’un reflet de ces chauds pays colore vaguement les imaginations de l’Occident. Donc il n’a pas crainte que sa voix demeure incomprise ; la France ne lui est-elle pas sympathique pendant une guerre d’émancipation d’où sortira la renaissance grecque ? Cet exemple choisi entre beaucoup d’autres suffit à montrer combien il importe à la poésie, pour s’assurer un rôle grand et fécond, de se mouvoir dans ce milieu général d’idées qui excite, à une heure donnée, comme une contagion généreuse, toutes les ardeurs et tous les enthousiasmes.


JULES GOURDAULT.


Il y a quelques mois, les délégués des sociétés savantes de la France tenaient à la Sorbonne leur réunion annuelle, et un fait particulier a signalé cette solennité. Il n’en est pas resté seulement un souvenir cher à tous les amis de la science : le discours où selon l’usage sont résumés les derniers travaux de ces sociétés dans le domaine de l’histoire et de la philosophie est devenu un écrit substantiel et qui mérite d’être conservé comme un brillant tableau du mouvement des études historiques françaises