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qui était alors comme son chargé d’affaires à Saint-Pétersbourg : « Que rien de tout cela ne transpire, que rien n’en parvienne aux oreilles des ministres russes ; la moindre chose qui arriverait au comte de Saxe serait d’aller écrire des libros tristium quelque part en Sibérie. » Il en transpira quelque chose, non pas à Saint-Pétersbourg, mais à Vienne. La chancellerie impériale s’en émut. L’empereur d’Allemagne fit écrire au ministère saxon (8 janvier 1727) qu’il était bien convaincu assurément que le roi de Pologne ne pouvait approuver un tel projet, et encore moins y avoir aucune part, mais qu’il désirait toutefois en recevoir l’assurance expresse. « Le roi, répondit M. de Manteuffel, a trop bonne opinion de la sagesse de M. le comte Maurice pour le croire capable de penser à un tel projet, et quand il le serait, sa majesté est si éloignée d’y avoir la moindre part qu’elle serait la première à l’en blâmer. »

Maurice, averti à temps, abandonna cette folle pensée, et se tourna de nouveau vers la Russie. Il était toujours soutenu à Saint-Pétersbourg par l’activité chaleureuse de Lefort, par les démarches de Fontenay, et aussi par la sympathie obstinée des deux princesses Anna Ivanovna et Elisabeth Petrovna. Cependant les combinaisons de Maurice avaient révélé chez lui une ardeur si téméraire que le roi de Pologne jugea nécessaire d’y couper court une fois pour toutes. Il était pressé d’ailleurs, et plus vivement que jamais, par la noblesse polonaise, qui s’inquiétait non sans raison des menées de Maurice à Saint-Pétersbourg et de l’intervention toujours imminente des Moscovites. Le roi écrit donc à Maurice et le supplie de quitter la Courlande au plus tôt ; une occasion très honorable lui est offerte ; l’Espagne, poussant l’Autriche à la guerre contre l’Angleterre et la France, vient de faire des provocations d’où peut sortir une grande lutte ; la France s’y prépare : n’est-ce pas là qu’est la place de Maurice ? N’est-il pas maréchal-de-camp dans l’armée française ? n’a-t-il pas son régiment qui l’appelle ? Là-bas la gloire, ici des aventures meurtrières ; est-ce à lui d’hésiter ? Voilà de l’argent pour faire le voyage. Le roi lui promet 4,000 ducats, et d’avance il lui en envoie 1,000 par le capitaine de Glasenapp. Un diplomate, ami dévoué de Maurice, M. de Lagnasco, joint à ces prières du roi deux mémoires très développés où la force des bonnes raisons est soutenue par l’éloquence du cœur. Maurice les lit la plume à la main, et y répond en marge ; voici une de ses notes :


« Je demande si, quand on a une fois livré sa parole, on est le maître de la retirer sans le consentement de ceux à qui on l’a livrée, et si le roi peut ordonner à quelqu’un de la violer… Il vaut mieux que je perde les bontés du roi par une si noble cause que si je les conserve par une lâcheté. Après cela, il s’en ira comme il plaira à la fortune, pourvu que je n’aie rien à