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irréguliers, pleins de conséquences funestes, il propose une grande innovation, celle que l’égalité moderne a consacrée dans l’Europe entière, et c’est là surtout que je retrouve l’influence de ses souvenirs personnels, tant il est vrai que le malheur est une bonne école pour un esprit bien fait. « Ne vaudrait-il pas mieux, s’écrie-t-il, établir par une loi que tout homme, de quelque condition qu’il fût, serait obligé de servir son prince et sa patrie pendant cinq ans ? Cette loi ne saurait être désapprouvée, parce qu’il est naturel et juste que les citoyens s’emploient pour la défense de l’état. En les choisissant entre vingt et trente ans, il ne résulterait aucun inconvénient. Ce sont les années du libertinage où la jeunesse va chercher fortune, court le pays et est de peu de soulagement à ses parens. Ce ne serait pas une désolation publique, parce que l’on serait sûr que, les cinq années révolues, on serait congédié. Cette méthode de lever des troupes serait un fonds inépuisable de belles et bonnes recrues qui ne seraient pas sujettes à déserter. On se ferait même par la suite un honneur et un devoir de remplir sa tâche ; mais, pour y parvenir, il faudrait n’en excepter aucune condition, être sévère sur ce point, et s’attacher à faire exécuter cette loi par préférence aux nobles et aux riches. Personne n’en murmurerait. Alors ceux qui auraient servi leur temps verraient avec mépris ceux qui répugneraient à cette loi, et insensiblement on se ferait un honneur de servir ; le pauvre bourgeois serait consolé par l’exemple du riche, et celui-ci n’oserait se plaindre, voyant servir le noble. La guerre est un métier honorable. Combien de princes ont porté le mousquet[1] !… »

Puisque ce moyen lui manque de recruter des soldats, puisque ni le trésor public ni les habitudes du pays ne lui permettent d’organiser une armée, il faut bien qu’il s’adresse aux puissances étrangères. Il avait songé d’abord aux Anglais ; il se tourne maintenant vers la France. Il part, traverse la Pologne d’un bout à l’autre, voit secrètement le roi à Bialistock, arrive à Dresde, où il est reçu par le prince royal, se dispose enfin à gagner la France et Paris. Maurice s’était fait de singulières illusions, s’il avait pu croire que le gouvernement français irait s’engager de gaité de cœur dans ces complications de l’Europe du nord. Le cardinal Fleury, uniquement occupé à maintenir la paix, avait écarté des causes de guerre plus sérieuses que celle-là. Arrivé à Paris vers la fin d’avril, le duc-élu de Courlande en repartit le 2 juin sans avoir rien obtenu. Le 21, il était à Pillnitz auprès du roi son père, fort bien accueilli, mais à la condition de ne pas lui souffler mot des affaires de Courlande. « Je

  1. Mes Rêveries, par Maurice comte de Saxe, livre premier, chap. Ier, article Ier.