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mieux aimé que le roi m’en fît un autre. — Et lequel donc ? — Un mari. » Un autre jour, au mois de décembre, un ami de Maurice, M. de Fréneuse, ayant écrit à une dame de la cour, Mme de Rame, pour la prier de sonder les dispositions de la princesse au sujet du comte de Saxe, la princesse se fit montrer cette lettre, prit plaisir à toutes les choses flatteuses qu’elle y trouva pour elle, puis manda le diplomate saxon et lui dit en présence de Mme de Rame : « Ne faites pas savoir au comte de Saxe que j’ai lu la lettre de son ami, mais écrivez-lui que je serai charmé de le voir. » Enfin les démarches de Lefort auprès du roi de Pologne devinrent si vives, si pressantes, que le roi, pour terminer l’affaire ou s’en débarrasser une bonne fois, dut signifier à son représentant le memorandum que voici :


« Le roi ayant ouï les différens rapports que son envoyé extraordinaire, le sieur Lefort, lui a faits au sujet d’un projet formé par quelques amis à la cour de Russie pour marier M. le comte de Saxe avec la princesse Elisabeth, et ayant fait attention, entre autres choses à ce que ces amis souhaitent que le comte se rende sur les lieux, et à ce que ledit sieur Lefort demande d’être instruit des sentimens de sa majesté sur ce projet, sa majesté a ordonné de lui faire savoir qu’elle ne s’opposera ni au projet en question, ni à ce que le comte de Saxe aille à Moscou, pourvu qu’elle puisse être assurée préalablement : 1° que la princesse Elisabeth veuille l’avoir pour époux, 2° que sa majesté le tsar y consente, 3° qu’on veuille et puisse procurer au comte un établissement convenable en Russie, et 4° qu’on n’exige pas du roi que sa majesté lui fasse elle-même un établissement qu’il ne dépend pas d’elle de lui procurer.

« Sa majesté ne pouvant consentir à ce que le comte de Saxe fasse encore, comme ci-devant, le galopin et l’aventurier, à moins d’être sûr de ces quatre conditions préliminaires, elle enjoint au sieur Lefort de bien recommander aux amis sus-mentionnés de l’éclairer avant toute chose là-dessus, lui défendant en même temps de rien avancer ou assurer, ou d’agir au nom de sa majesté pour faire réussir le mariage en question, avant d’être assuré des quatre points susdits. »


Ce curieux document est du 7 février 1729 ; six semaines après, le 21 mars, Lefort écrivait à Varsovie ces paroles vraiment inattendues après tant d’instances et d’enthousiasme : « La conduite irrégulière que la princesse tient depuis quelque temps, et qui se manifeste de jour en jour, semble avoir entièrement dégoûte les amis de son excellence le comte de Saxe de pousser, son projet plus loin. La chose est si vraie que l’on n’est plus d’opinion qu’il faille renouer l’entrevue dont j’ai parlé ci-devant. Il paraît même que cette conduite engendre du mépris ; les amis du comte disent qu’il n’y faut plus penser. » Encore une couronne qu’aurait pu lui donner le hasard et que le hasard emporte ! Quelles furent les réflexions de Maurice