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l’impiété de ce système. » On croit presque entendre le cri du Cid défiant les Castillans et les Maures : théologiens de l’Europe chrétienne et de l’Asie musulmane, voilà le cartel du comte de Saxe.

Si le saint-simonisme anticipé de l’auteur des Rêveries n’a pas droit à l’honneur d’une réfutation, il mérite pourtant d’être signalé comme un des traits caractéristiques de sa physionomie. Maurice est persuadé qu’une législation établie sur ces principes « fonderait une monarchie redoutable à toute la terre. » Et cette monarchie, si l’occasion lui était offerte, pourquoi ne serait-ce pas la sienne ? Quelque peuple que ce puisse être, cette loi miraculeuse le transformera. Son système lui est si cher qu’il se livre à toute sorte de calculs pour s’en démontrer à lui-même l’efficacité infaillible. Il suppute, de génération en génération, toutes les chances d’accroissement dans son royaume d’utopie. Il prévoit les résultats de chaque union quinquennale, il additionne, il multiplie, et arrive à ce résultat, qu’un million de femmes, dont chacune donnerait le jour à six enfans, et dont les enfans à leur tour suivraient l’exemple de leurs mères, auront produit en cent quatre-vingts ans neuf cent soixante-dix-huit millions d’âmes. Il ajoute avec la joie sereine du législateur qui se complaît d’avance dans son œuvre : « Ce chiffre est énorme ; lors même qu’on en retrancherait les trois quarts, il serait prodigieux. » N’est-ce pas déjà le rêveur qui voudra rassembler un jour tous les Juifs de l’Europe et les transporter dans les contrées incultes de l’Amérique, pour en faire une nation puissante dont il sera le monarque ?

« J’ai composé cet ouvrage en treize nuits. J’étais malade ; il pourrait donc bien se ressentir de la fièvre que j’avais. Cela doit m’excuser sur la régularité et l’arrangement, ainsi que sur l’élégance du style. J’ai écrit militairement et pour dissiper mes ennuis. Fait au mois de décembre 1732. » Ces mots, tracés de la main de Maurice, se lisent sur l’un des deux manuscrits des Rêveries que possède la bibliothèque de Dresde. L’auteur, comme on voit, ne demande grâce que pour la composition et le style ; quant aux idées, il est prêt à les soutenir, et si elles sentent quelquefois la fièvre, c’est une fièvre qui a duré toute sa vie.

À peine rétabli, le comte de Saxe veut porter lui-même ce manuscrit à son père. Il arrive à Dresde le 12 janvier 1733. Le roi était parti la veille pour Varsovie ; trois semaines après, on reçut la nouvelle de sa mort. On sait que le prince royal Frédéric-Auguste, devenu électeur de Saxe par droit de naissance, hérita aussi de la royauté d’Auguste II, grâce à de pauvres intrigues que soutenait l’empereur d’Allemagne. On sait également que cette élection du nouveau roi de Pologne, faite au détriment de Stanislas Leczinski,