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du sucre, d’où l’épithète de saccharoïde donnée en minéralogie au marbre statuaire. La couleur est d’un blanc mat, prenant sous le poli un ton de cire vierge, sans aucune ligne jaune ou bleuâtre. Le ciseau se promène facilement sur le bloc et enlève des éclats réguliers. Guidé par Niccolino, je visitai d’abord les carrières du Giardino, situées sur le penchant méridional du mont Altissimo, dont la cime est à près de 1,800 mètres de hauteur. À partir du village de Buosina, on quitte la Vezza pour prendre une vallée transversale remontant au nord. Le chemin s’élève avec le torrent. Construit pour la descente des marbres par le propriétaire du Giardino, il mesure une lieue et demie de longueur (6 kilomètres), et rachète une différence de niveau d’environ 350 mètres ; il n’a pas coûté moins de 50,000 francs.

Les pentes raides des montagnes latérales sont plantées de pins, de châtaigniers, de hêtres, et recouvertes d’un gazon toujours vert. Quelques cascades, descendues des plus hautes cimes, tombent en lames argentées, éparpillant au soleil une poussière blanchâtre où étincellent, sous le jeu capricieux de la lumière, toutes les nuances du prisme. La route dispute la place au torrent, resserrée entre les deux montagnes. Çà et là sont quelques cahutes, refuge des bergers qui mènent paître leurs chèvres sur ces sommets ardus, quelques vieilles masures abandonnées où l’on fait griller les châtaignes destinées au moulin à l’époque de la cueillette, en octobre. Sur le chemin, une escouade de terrassiers modenais, désignés ironiquement sous le nom de lombardi (synonyme ici de lourdauds) par les ouvriers toscans plus policés, répare la voie, comble les ornières de sable ou de cailloutis. Ces terrassiers sont restés fidèles, comme les jeunes filles du Rondone, à l’usage du panier, qu’ils préfèrent à la brouette. Le terrain, formé de micaschistes noirâtres, a une teinte sombre qui va bien au tableau, et tout l’ensemble du paysage revêt un caractère d’austère majesté. Les Modenais, que les beautés de la nature inquiètent peu, ne suspendent un moment leur travail que pour surveiller la confection de la polenta, pâtée de farine de maïs ou de châtaignes qu’on fait bouillir avec un peu de graisse dans une immense marmite en fonte. Sur un coin du chemin, dans le fond du fossé, l’un des ouvriers auxquels le suffrage de ses camarades a délégué les fonctions de maître coq agite la pâte fumante avec une latte de bois qui rappelle l’arme d’Arlequin. Quelques branchages secs font tous les frais du combustible, et deux pierres sur lesquelles est placée la marmite composent tout le fourneau. La cuisson terminée, on découpe le gâteau en tranches où chacun mord à belles dents.

Assis sur une borne du chemin, je contemplais le groupe des lombards dévorant leur frugal repas, quand Niccolino me montra