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et irréprochable ont également remplacé les carabinieri peu redoutables du vieux Léopold. Par l’une des embrasures du fort, un respectable canon de fonte et un antique fusil de rempart, faisant ensemble bon ménage, sont toujours dirigés sur la mer, menaçant les forbans sarrasins, contre lesquels la citadelle a été bâtie. Il y a des forts de cette espèce tout le long du rivage toscan, et bien que les pirates barbaresques ne s’y montrent plus pour faire comme autrefois des razzias jusque dans les grandes villes maritimes, l’autorité militaire continue à occuper les forts. L’artillerie tient à ses privilèges. Une des premières mesures du Piémont devenu le royaume d’Italie a été de garnir les citadelles du littoral de canonniers bien disciplinés.


III

En quittant Seravezza, je me dirigeai vers Carrare par la route de terre, plus courte que la voie ferrée, qui, par raison d’économie et pour éviter les tunnels, a longé le bord de la mer au lieu de se rapprocher des grands centres d’industrie et de population, Seravezza, Massa et Carrare, groupés autour des carrières. Je partis aux premières lueurs du jour avec le vetturino Galibardi, tout fier d’être désigné par un sobriquet qui n’est autre que le nom sous lequel les gens du peuple connaissent Garibaldi en Italie. Les chevaux et le conducteur étaient pleins d’entrain, et nous ne tardâmes pas d’arriver sur la voie Émilienne. La route moderne a conservé le nom de son aînée, la voie romaine, qu’elle côtoie ou dont elle suit le parcours en se superposant à elle. Le chemin est large et bien tracé, sans montée ni descente. Fouettant vigoureusement les chevaux, Galibardi les mena d’un train de poste, voulant sans doute faire concurrence à la locomotive qui passa un moment près de nous, puis disparut bientôt avec son blanc panache de vapeur derrière un rideau de peupliers.

Assis familièrement à côté de mon voiturin, qui parlait le toscan comme un académicien de la Crusca, je l’interrogeai sur les habitudes et les mœurs du pays, sur les progrès qu’y faisait l’idée unitaire. — Illustrissimo, me dit-il, l’unité, il y en a qui la veulent, il y en a qui ne la veulent point. Pour moi, je suis Italien avant tout, et j’abhorre le Tedesco ; mais les impôts ont augmenté, la conscription ne fait grâce à personne. Sous les ducs, on payait peu, et il n’y avait de soldats que les Autrichiens. — On payait peu, répliquai-je, mais l’industrie était souffrante, et avec elle le commerce et l’agriculture ; puis vous n’aviez presque pas de routes, pas de chemins de fer, pas de ports, presque aucune école, aucun lien surtout