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dans les épreuves de leur vie ; que font ces parens quand leur enfant est malade, ces cultivateurs quand leurs récoltes sont menacées, ces matelots quand ils flottent sur les mers en proie aux tempêtes ? Ils lèvent les yeux au ciel, ils prient, ils invoquent cette puissance surnaturelle que vous dites abolie dans leur pensée. Par leurs actes spontanés et irrésistibles, ils donnent à vos paroles et à leurs propres paroles un éclatant démenti.

Je veux faire un pas vers vous ; je vous accorde que la foi au surnaturel est abolie ; j’entre avec vous dans les sociétés, dans les classes qui se vantent de cette ruine morale. Qu’y arrive-t-il alors ? A la place des miracles divins, les miracles humains apparaissent ; on en cherche, on en demande, et on trouve des gens qui en inventent, et qui les font accueillir par des milliers de spectateurs. Il ne faut pas remonter bien loin dans le temps et dans l’espace pour voir le surnaturel de la superstition s’élevant sur les ruines du surnaturel de la religion, et la crédulité s’empressant au-devant du mensonge.

Sortons de ces crises malsaines de l’humanité ; rentrons dans sa permanente et sérieuse histoire. Nous reconnaîtrons que la croyance instinctive au surnaturel a été la source et demeure le fond de toutes les religions, de la religion en général et en soi. Le plus sérieux et aussi le plus perplexe des penseurs qui, de nos jours, ont abordé ce sujet, M. Edmond Scherer, a bien vu que là était la question, et c’est ainsi qu’il l’a posée dans la troisième de ses Conversations théologiques, belle et douloureuse image de la fermentation de ses idées et des combats qu’elles se livrent dans son âme : « Le surnaturel n’est pas quelque chose d’extérieur à la religion, dit l’un des deux interlocuteurs entre lesquels M. Scherer établit le débat, il est la religion même. — Non, dit l’autre, le surnaturel n’est pas l’élément propre de la religion, mais plutôt l’élément propre de la superstition ; le fait surnaturel n’a point de rapport avec l’âme humaine, car le propre du surnaturel, c’est de sortir de cet ensemble de conditions qui forment la crédibilité, c’est d’être anti-humain. » La discussion continue et s’anime, les troubles contraires des deux interlocuteurs se révèlent. « Peut-être, dit le rationaliste, le surnaturel était-il une forme nécessaire de la religion pour des esprits peu cultivés ; mais, à tort ou à raison, notre culture moderne repousse le miracle : elle ne le nie pas précisément, elle y est indifférente. Le prédicateur même ne sait qu’en faire ; plus il est sérieux, plus son christianisme a d’intimité et de vie, plus aussi le miracle disparaît de son enseignement. Le miracle était jadis la force du discours religieux, il en est aujourd’hui l’embarras secret. Chacun sent vaguement, en face des récits merveilleux de nos saints livres, ce