Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce n’est pas la lumière qui leur manque, c’est leur force propre et naturelle qui a atteint son terme ; l’esprit sait qu’il y a des espaces au-delà de celui que les yeux parcourent, mais les yeux n’y pénètrent point. C’est l’image de ce qui arrive à l’esprit lui-même dans la contemplation et l’étude de l’univers ; il parvient à un point où sa vue nette, c’est-à-dire sa science, s’arrête. Ce n’est point la fin des choses mêmes, c’est la limite de la puissance scientifique de l’homme ; d’autres réalités lui apparaissent, il les entrevoit, il y croit spontanément et naturellement : il ne lui est pas donné de les saisir et de les mesurer ; il ne peut ni les méconnaître, ni les connaître, ni en acquérir la science, ni se défendre d’y avoir foi.

Je ne me refuserai pas le plaisir de reproduire ici ce que j’écrivais, il y a treize ans, sur le même sujet, en examinant philosophiquement quel est le vrai sens du mot foi : « L’objet des croyances religieuses, disais-je, est, dans une certaine et large mesure, inaccessible à la science humaine. Elle peut en constater la réalité, elle peut arriver jusqu’à la limite de ce monde mystérieux, et s’assurer que là sont des faits auxquels se rattache la destinée de l’homme ; mais il ne lui est pas donné d’atteindre ces faits mêmes, pour les soumettre à son examen. Frappé de cette impossibilité, plus d’un philosophe en a conclu qu’il n’y avait là rien de réel, et que les croyances religieuses ne s’adressaient qu’à des chimères. D’autres, s’aveuglant sur leur impuissance, se sont hardiment élancés vers la sphère des choses surnaturelles, et, comme s’ils eussent réussi à y pénétrer, ils en ont décrit les faits, résolu les problèmes, assigné les lois. Il est difficile de dire quel esprit est le plus follement superbe, ou celui qui soutient que ce qu’il ne peut connaître n’est point, ou celui qui se prétend capable de connaître tout ce qui est. Quoi qu’il en soit, ni l’une ni l’autre assertion n’a obtenu un seul jour l’assentiment du genre humain ; son instinct et sa conduite ont constamment désavoué le néant des incrédules et la confiance des théologiens. En dépit des premiers, il a persisté à croire à l’existence du monde inconnu et à la réalité des rapports qui l’y tiennent uni ; malgré la puissance des seconds, il a refusé d’admettre qu’ils eussent atteint le but, levé le voile, et il a continué d’agiter les mêmes problèmes, de poursuivre les mêmes vérités, aussi ardemment, aussi laborieusement qu’au premier jour, comme si rien n’eût encore été fait[1]. »

Je viens de relire le beau résumé qu’a donné M. Cousin de l’Histoire générale de la philosophie depuis les temps les plus anciens Jusqu’à la fin du dix-huitième siècle. Il établit que tous les efforts, tous les travaux philosophiques de l’esprit humain ont abouti à

  1. Méditations et Études morales, p. 170 (Paris 1851).