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enfermer dans l’intérieur de la voiture, quelques cigares dérobés à la surveillance des employés d’Elvas établirent bien vite entre nous l’intimité. Si je n’eusse connu le nom de mon interlocuteur et si son type national eût été moins accusé, j’aurais pu, à la façon dont il se servait de la langue française, me croire avec un compatriote. Il avait beaucoup connu la France autrefois ; mêlé à toutes les commotions politiques de son pays, il était venu à plusieurs reprises se réfugier sur cette terre hospitalière et en conservait un souvenir agréable. Il connaissait bien ses compatriotes, et me donna sur le Portugal toute sorte de notions utiles. À propos de l’embarras où je m’étais trouvé lorsqu’il s’était agi de payer mon estalageiro (maître du cabaret), « notre système monétaire, me dit-il, embarrasse en général beaucoup les étrangers, et il est assez compliqué en effet. » Alors il m’expliqua la valeur et l’emploi du reis ; j’appris ce que c’est que le vingtain, le pataque, le teston, le pinto, le cruzade ; il me montra ces monnaies, m’en indiqua les rapports ; ce fut un véritable cours de numismatique[1]. Arrivés à Montemor o Novo, nous nous arrêtâmes pour prendre du thé ; cette boisson asiatique, pour le dire en passant, est si fort en faveur parmi les Portugais, qu’on en retrouve l’usage jusque dans le plus petit hameau du royaume. Enfin à sept heures du matin la voiture s’arrêtait à la station de Vendas-Novas, d’où le chemin de fer du Sud devait me conduire à Lisbonne. La province que nous venions de traverser ainsi en courant est celle de l’Alem-Tejo, dont la réputation est assez fâcheuse. « C’est un pays désert et fiévreux, » m’avait-on dit. Ce que j’en avais vu ne répondait guère à cette peinture. L’Alem-Tejo m’avait au contraire paru gai et assez peuplé. Le chemin qui vient d’Espagne traverse, il est vrai, la partie la plus riche et la plus variée de cette province. Lorsque plus tard j’ai connu la région que parcourt le chemin de fer qui de Lisbonne se dirige vers Badajoz, la vue des charnecas (landes) désertes et marécageuses qui de Constantia s’étendent vers Elvas m’expliqua la triste renommée dont jouit le pays. Aux environs du Crato, par exemple, pendant l’été

  1. Le Portugal tend aujourd’hui à ramener son système monétaire au système décimal en prenant le réal portugais pour base, bien qu’il n’existe pas en fait. Les monnaies portugaises sont très multipliées et assez difficiles à classer. — Cuivre : 10 reis valant 0 fr. 056 ; 20 reis formant une subdivision nouvelle appelée le vingtain, 40 reis ou un pataque. — Argent : l’unité de la monnaie d’argent est le tostao, qui vaut 100 reis ou 0 fr. 50 cent. ; il y a des monnaies d’un 1/2 tostao, de 2 tostoes, de 5 tostoes : il circule encore une vieille, monnaie qui s’appelle le pinto ou cruzade neuf, qui vaut 480 reis. Le pinto sert souvent d’unité monétaire en province. — Or : la livre sterling et la demi-livre sont les deux monnaies d’or les plus répandues ; la livre vaut 4,500 reis. Il commence à circuler des pièces de 1,000 reis, 5,000 et 10,000 reis, et parfois l’on rencontre encore l’ancienne peça, qui vaut 8,000 reis.