Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vouloir de tous ceux qui allaient souffrir d’une semblable régularisation ; il fallait donc y renoncer et se contenter d’une appréciation telle quelle. La répartition de l’impôt foncier, calculé au dixième du revenu, dut alors être confiée à des commissions dont les membres avaient intérêt à dérober la vérité, si bien que sur une population de à millions d’habitans spécialement voués à l’agriculture, on n’obtenait ainsi qu’une somme de 8 millions de francs. Il fallut un rare patriotisme et un esprit fécond en ressources aux hommes qui les premiers osèrent aborder les difficultés d’une semblable situation.

Si d’un côté le peuple portugais tendait à diminuer les revenus de l’état par la résistance dont je viens de parler, de l’autre il voulait voir son amour-propre satisfait ; or son amour-propre consiste à jouer au soldat. Le Portugal veut une armée, et chaque ministère à son tour se voit harcelé par l’opposition, aucun n’ayant encore réussi à créer une armée qui réponde aux vœux du pays. Pendant la guerre des libéraux contre dom Miguel, tous les moyens furent bons pour se procurer des soldats : il dut par conséquent s’introduire de grands abus dans le recrutement ; on voulut établir l’ordre en introduisant un système de conscription analogue à celui qui est usité en France, et par le fait les levées annuelles devinrent impossibles. La loi. fixait, il est vrai, l’âge auquel devait se présenter le jeune conscrit ; mais celui-ci ne savait jamais combien d’années il servirait réellement, bien que la durée légale du service fût fixée à sept ans. Le colonel commandant un corps était chargé de prononcer sur les libérations, et, quels que fussent les droits des soldats, ceux-ci devaient attendre la bonne volonté de cet officier, qui tenait, quant à lui, à conserver ses cadres complets. Une pareille incertitude augmenta la répulsion instinctive du Portugais pour la vie de caserne ; afin d’échapper au service militaire, il se mutila ; il s’enfuit vers le Brésil, s’enfonça dans les solitudes de l’Alem-Tejo, ou vint se perdre dans la foule des cités. D’ailleurs chacun dans le conseil de révision avait ses protecteurs, si bien que plusieurs municipalités, avec une population croissante, ne purent fournir leur contingent, et se trouvent encore arriérées. On gardait les soldats libérables parce que l’on ne pouvait se procurer de recrues, et les recrues s’enfuyaient parce que les soldats libérables n’étaient point libérés. Malgré les efforts du roi dom Pedro V pour assurer l’exécution stricte de la loi, le mal grandit à tel point qu’on en vint, à poursuivre le conscrit, à le prendre au laço dans les rues des grandes villes. — C’est de la sorte qu’à grand’peine on réunit tout au plus quatorze ou quinze mille hommes sous les armes. Au reste, on ne voit pas trop pourquoi le Portugal, tranquille à l’intérieur, lorsque