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Or sait-on de quels moyens dispose un gouverneur pour réussir au milieu de ces exigences multipliées ? Chaque district est divisé en conseils à la tête desquels se trouve un administrador ayant sous ses ordres les regidores de freguezia, et pour exécuter ses décisions quelques agens de police. Tel est le rouage administratif. Au surplus la simplicité de cette machine a le mérite de laisser libres tous les efforts, et à travers la vie la plus troublée le progrès se poursuit avec persévérance ; les problèmes les plus difficiles sont abordés avec une naïveté dont on se ferait difficilement une idée. En 1863, à propos du budget, les cortès proclament en principe l’abolition de la peine de mort. À quelques jours de là, elles détruisent l’institution des majorats, et en 1864 elles viennent de décréter une loi qui fait disparaître le monopole de la vente du tabac.

Parmi les difficultés nombreuses qui peuvent entraver la marche du gouvernement, il en est une que nous ne connaissons guère en France et avec laquelle on paraît s’être familiarisé à Lisbonne : je veux parler de la liberté de la presse. Dégagée d’entraves, peu ou point responsable, la presse portugaise accuse et juge sans appel, et cela dans un style des plus singuliers. Il suffirait, pour s’en faire une idée, de lire quelques-unes des polémiques du Portuguez ou de l’Asmodeu. Chaque jour on trouverait étalée dans ces feuilles et dans beaucoup d’autres la vie publique et privée du citoyen, on verrait jusqu’où peut aller la licence ; les réputations les plus pures n’échappent pas toujours à de pareilles atteintes. Rodrigo da Fonseca fut lui-même poursuivi plus que tout autre par la presse, et si ses amis le priaient de réprimer de pareils excès, fort de sa conscience, il leur répondait : « Laissez donc attaquer ma personne, pourvu qu’on respecte les institutions ; plus tard, on me rendra justice. » Il ne se trompait point, le jour de la justice est venu pour lui. Ce serait cependant une erreur de croire que de pareils journaux sont les guides de l’opinion : elle s’en émeut au contraire fort peu ; on sourit aux mésaventures d’un adversaire sans songer à relever pour son compte une insulte qui s’émousse en tombant. Il existe néanmoins des organes de l’esprit public, tels que le Journal du Commerce, la Révolution de Septembre et la Gazette de Portugal, qui ont su conserver la dignité de leur rôle en s’adressant à l’intelligence plutôt qu’aux passions. Dans ces luttes de la presse quotidienne, plus d’un écrivain illustre a dû à la polémique ses pages les plus glorieuses. Il suffit de citer au hasard MM. Al. Herculano, Mendès Leal, Latino Coelho, Rebello da Silva, César Machado, A.-A. Texeira de Vasconcellos. Ce n’est pas seulement à Lisbonne du reste que la presse s’est développée : il n’existe pas une seule petite ville possédant une imprimerie qui n’ait sa feuille et même