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tous les argumens qu’il est possible d’invoquer dans l’examen des questions de droit international que soulève ce grave incident. Il faut naturellement y ajouter les longs débats des cours anglaises dans l’affaire de l’Alexandra.

On voit donc se produire aujourd’hui, sous l’influence des événemens dont l’Amérique est le théâtre, tout un ensemble de doctrines sur le droit des gens qui mérite l’attention la plus sérieuse. La France ne saurait rester spectatrice indifférente des discussions engagées entre l’Angleterre et les États-Unis : il lui importe de savoir où l’Angleterre compte désormais tracer la ligne qui sépare les droits des neutres des droits des belligérans. Durant la longue période d’apaisement qui suivit la chute du premier empire, les esprits perdirent peu à peu de vue les problèmes internationaux que la force avait momentanément résolus ; mais la diplomatie française ne les oublia jamais, et au lendemain de la guerre de Crimée elle obtint de notre alliée d’importantes concessions en faveur du commerce des neutres. Pourtant son ouvrage, qui ne semblait être alors qu’une sorte de hors-d’œuvre spéculatif, n’a pas encore été mis à l’épreuve, et si jamais il s’y trouvait mis, qui sait si nous subirions l’expérience en qualité de neutres ou de belligérans ? Notre pays possède aujourd’hui une assez belle marine, et l’avenir de l’Europe est assez incertain, pour que les privilèges de la neutralité ne soient point l’objet exclusif de nos préoccupations. Nous nous flattons volontiers d’avoir toujours représenté et défendu la liberté des mers. Cette illusion a sa racine dans le souvenir des luttes soutenues au siècle dernier contre l’Angleterre au nom des principes de la neutralité armée ; mais, si l’on remonte à une époque plus lointaine, on voit la France maintenir et exercer pendant plus d’un siècle les droits des belligérans dans leur inflexible rigueur. En 1681, à l’époque où Louis XIV se croyait devenu le maître de la mer, quand sa marine comptait cent vaisseaux de ligne et sept cents vaisseaux de guerre, il proclamait ce principe : « Tous navires qui se trouveront chargés d’effets appartenant à nos ennemis, et les marchandises de nos sujets et alliés qui se trouveront dans un navire ennemi, seront pareillement de bonne prise. » Pendant la guerre de la succession d’Espagne, la marine française confisqua toute production du sol ou de l’industrie de l’ennemi, quel qu’en fût le propriétaire. Les droits des neutres reçurent une importante consécration dans le traité d’Utrecht, que beaucoup de publicistes ont considéré comme la base du droit des gens modernes ; mais la France n’était guère en mesure de dicter ses conditions à Utrecht, et ne saurait revendiquer pour elle-même tout le mérite d’une œuvre où l’Angleterre obtenait les plus grandes satisfactions. Pendant les soixante et quelques années qui s’écoulèrent depuis la signature