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Winslow n’entra point dans le port, il resta même en dehors des eaux territoriales, afin d’être maître de tous ses mouvemens et de poursuivre l’Alabama dès le moment de sa sortie ; mais cette fois le capitaine Semmes n’essaya point d’échapper à son adversaire, comme il avait fait naguère au cap de Bonne-Espérance. Trompé sans doute par de faux renseignemens sur la force et l’armement du Kearsage, il résolut de l’attaquer. Le 19 juin, par une belle matinée, l’Alabama mettait sous vapeur, et à dix heures quittait le mouillage avec la frégate française la Couronne, chargée par les autorités du port de l’escorter jusqu’en dehors des eaux françaises. À onze heures précises, l’Alabama rencontrait le Kearsage à 22 kilomètres environ de la côte, au nord-nord-ouest de Cherbourg. Les forces respectives des deux combattans semblaient à peu près égales. L’Alabama jaugeait 1,040 tonnes et portait douze canons. Les dix canons de batterie, tous passés à tribord pendant le combat, étaient d’un calibre de 30 environ. Le canon de l’avant était de 58, le canon de chasse à l’arrière de 100. Le Kearsage jauge 1,031 tonneaux et porte huit canons seulement, dont six canons de 32 et deux de 150 du modèle dit Dahlgren, à âme lisse. Arrivé à 1,600 mètres de son adversaire, l’Alabama se mit à tirer à boulets, le Kearsage répondit au bout de quelques minutes, et bientôt l’engagement devint actif. Les deux steamers, ayant passé tous leurs canons à tribord et obligés de se tenir à distance, commencèrent à décrire un grand cercle autour d’un centre commun, dont le diamètre était d’abord de 800 mètres, mais finit par se resserrer jusqu’à 200 mètres.

Bientôt on s’aperçut à bord de l’Alabama que les obus envoyés sur les parties médianes du Kearsage rebondissaient sans pénétrer. La machine du navire fédéral avait été mise à l’abri par un blindage improvisé, formé par des chaînes de fer et caché par une couverture en bois. Les projectiles firent voler cette mince couverture en éclats ; mais les anneaux mobiles des chaînes protégèrent efficacement les œuvres vives du Kearsage. L’Alabama ne tarda pas à recevoir un boulet dans sa machine, un autre boulet brisa l’hélice et creva l’arrière du navire, qui s’enfonça le nez en l’air. Enfin la dernière décharge du Kearsage, qui s’était graduellement rapproché à mesure que diminuait le feu de l’Alabama, atteignit ce navire près de la flottaison, et fit une énorme trouée. Dix minutes après, l’Alabama coulait. L’équipage, massé sur l’avant, se précipita à la mer et fut en partie recueilli par le Kearsage lui-même, en partie par un yacht anglais qui avait été témoin de tout le combat et qui reçut à son bord le capitaine Semmes. Le terrible duel n’avait guère duré plus d’une heure ; l’Alabama sombrait quelques minutes après midi, et à trois heures le Kearsage mouillait en rade