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une portée plus redoutable à tous les conflits que les événemens feraient naître entre la loi anglaise et cette loi plus générale, quoique non moins impérieuse, qu’on nomme la loi internationale. Un pays peut quelque temps mettre sa volonté au-dessus des désirs et des vœux des autres peuples ; il n’en finit pas moins un jour ou l’autre par s’incliner devant ce qu’ils ont de légitime. Après avoir victorieusement résisté aux ligues de la neutralité armée, l’Angleterre n’a-t-elle pas elle-même solennellement accepté le grand principe qui protège la propriété des neutres en temps de guerre ?

Aujourd’hui, seule parmi toutes les nations du monde, elle a fourni des vaisseaux de guerre à un belligérant, bien qu’elle ait hautement proclamé sa neutralité dans le conflit. Si son statut n’offre point de remède à un tel abus, il importe qu’elle le modifie, et c’est le conseil que lui donne Historicus aussi bien que M. Cobden. Mais son pouvoir exécutif n’est pas absolument désarmé, même aujourd’hui, contre ceux qui violent la neutralité ; il peut rendre le gouvernement confédéré responsable des entreprises qui depuis trois ans se poursuivent sur le sol anglais avec l’autorisation et l’appui des agens de ce gouvernement, avec les ressources fournies par un emprunt qu’ils ont contracté. Il peut fermer tous les ports de l’Angleterre et de ses nombreuses colonies à des navires qui sont sortis ou qui sortiraient frauduleusement de ses eaux. Les questions qui s’agitent aujourd’hui entre les États-Unis et l’Angleterre sont d’une extrême gravité, et il n’y a point de nation qui ne soit intéressée à les voir heureusement résolues. Si la solution n’est point inspirée par les sentimens d’une haute équité, si l’esprit de chicane prévaut sur l’esprit politique, le nouveau droit des gens est menacé, car il restera une lettre morte tant que deux nations commerciales aussi puissantes que l’Angleterre et les États-Unis seront séparées par de profonds dissentimens. On frémit à la pensée des maux qu’entraînerait une nouvelle lutte maritime entre ces deux puissances ; on ne peut deviner quelle en serait l’issue, mais on peut affirmer que les grands principes proclamés par le traité de Paris ne pourraient qu’en souffrir. Les nations commencent à comprendre leur solidarité : ce qui fait le malheur de l’une ne saurait faire le bonheur de l’autre ; elles ont toutes un intérêt égal à la conservation fidèle des règles internationales, et la neutralité a ses devoirs aussi bien que ses droits, qui doivent primer les passions irréfléchies et les rancunes passagères.


AUGUSTE LAUGEL.