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les populations mixtes ; mais il y avait encore une transaction possible : c’était de confier à un arbitre le soin de tracer une frontière intermédiaire entre la ligne indiquée par les puissances neutres et la ligne demandée par la Prusse. Le différend était donc concentré dans les plus étroites limites ; il n’y avait plus qu’à débattre sur un petit territoire, et comme une telle contestation n’engageait point l’honneur des belligérans, elle pouvait, suivant le vœu émis au congrès de Paris, être soumise à un arbitrage pacifique. Les puissances allemandes ont accueilli cette proposition par une adhésion dérisoire, en demandant une prolongation d’armistice jusqu’à l’hiver, et en se réservant la faculté de ne point acquiescer à la sentence arbitrale. Ainsi les puissances allemandes ont défié et bravé l’opinion des puissances neutres, non-seulement au début de la lutte, lorsqu’elles pouvaient alléguer que leur honneur était engagé dans leurs griefs contre le Danemark, mais lorsque les plus amples concessions leur étaient offertes, et que la contestation ne pouvait plus porter que sur une petite question de territoire. En présence de la France, de l’Angleterre, de la Russie, de la Suède, qui donnent raison au Danemark, mais qui demeurent inactives, les puissances allemandes recommencent la guerre et vont achever leur œuvre de spoliation. Hommes d’état qui serez les contemporains du démembrement du Danemark, aurez-vous désormais le droit de condamner la mémoire des hommes d’état qui furent les contemporains des partages de la Pologne ?

Devant le déplorable résultat où l’on est arrivé, on se pose une question vulgaire et oiseuse : fallait-il, faut-il encore s’opposer par des démonstrations actives, en définitive par la guerre, aux regrettables entraînemens de l’Allemagne ? Interrogation triste et sotte, car on ne se l’adresse que lorsque tout est compromis, et, comme on disait autrefois, lorsqu’on n’a plus à choisir qu’entre une faiblesse et une folie. La honte pour l’Europe, dans la crise actuelle, est d’avoir souffert que les choses arrivassent à ce point où il n’y a plus d’autre dilemme que de laisser faire ou de recourir à l’action répressive. Le malheur actuel de l’Europe, c’est qu’il n’existe plus dans ses conseils une autorité morale suffisante pour prévenir des faits semblables à ceux qui vont s’accomplir. C’est une force préventive qui est nécessaire à l’ordre et à la paix de l’Europe ; le danger, le mal de l’Europe, la cause persistante et chaque jour aggravée de l’inquiétude générale, c’est qu’on en vienne à tout propos à se demander s’il faut employer la force répressive, et à reculer devant ce moyen désespéré par un sentiment de prudence bien naturel et par un aveu d’impuissance qui, chaque fois qu’on est contraint de l’exprimer, enlève une garantie à la sécurité générale.

Il est impossible, à ce propos, de ne point remarquer combien la publicité, loi absolue de notre époque, à laquelle sont soumises les délibérations diplomatiques, augmente l’humiliation et le péril des situations fâcheuses que nous traversons. Les exposés que lord Russell et lord Palmerston viennent de présenter au parlement font sentir à tous la douloureuse confusion de ces confessions publiques, aujourd’hui nécessaires. Il y a un siècle,