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clure. Cependant la France avait changé d’humeur. D’une année à l’autre, entre la France et l’Angleterre, les rôles ont été alternés. Ce sont les Anglais qui cette fois ont été pressans, c’est nous qui avons pris l’attitude de la réserve et de l’abstention. Nous avons payé l’Angleterre, à propos du Danemark, de la monnaie qu’elle nous avait donnée à propos de la Pologne. Nous lui avons rendu l’ennui qu’elle nous avait valu en nous laissant l’embarras de battre en retraite après nous être trop avancés. Nous avons pris sur elle notre revanche, et nous sommes quittes. Nos motifs sont trouvés irréprochables par lord Russell ; au moment où le ministre anglais parlait, il venait d’en recevoir la communication fraîchement réitérée. La France ne se croit pas intéressée à soutenir la ligne de la Slei ; elle n’est point disposée à faire la guerre pour cela. Une guerre avec l’Allemagne serait pour elle chose très sérieuse : les Anglais ne pouvant combattre par une armée de terre l’invasion allemande en Danemark, les frais et les dangers de la guerre retomberaient principalement sur la France. Nous sommes comme lord Russell, nous ne trouvons rien à redire à ces raisons ; mais, si elles sont sages aujourd’hui au sujet du Danemark, l’étaient-elles moins il y a un an, quand c’était la Pologne qui était en jeu ? Si au contraire elles ne méritaient pas de nous arrêter quand nous nous occupions de la Pologne, pourquoi nous retiennent-elles lorsqu’il est question du Danemark ? Il est un autre aveu que nous eussions volontiers dispensé lord Russell de faire pour notre compte. Nous voulons parler de l’insinuation par laquelle le ministre anglais donne à entendre que la France n’eût point repoussé la perspective de la guerre, si une compensation lui eût été promise, compensation qui, au dire de lord Russell, ne pourrait être accordée sans exciter une grande jalousie parmi les autres nations de l’Europe, et sans déranger l’équilibre politique actuel. En lisant dans le Times ce passage du discours de lord Russell, nous pensions n’avoir affaire qu’à une allégation indiscrète qui serait officiellement contredite, et c’est avec surprise que nous l’avons vue aujourd’hui reproduite par le Moniteur sans commentaire. Si la France se laisse représenter ainsi comme capable de s’engager dans une guerre, contre laquelle elle oppose elle-même des motifs sérieux de prudence, sous la seule condition qu’elle y trouverait des compensations territoriales ; si elle est là, l’arme au pied, prête à marcher vers l’amorce du plus offrant, voilà un nouvel élément d’inquiétude et d’instabilité que l’on nous aura montré dans la situation précaire de l’Europe.

Les aveux les plus extraordinaires sont ceux que les ministres anglais ont faits pour le compte de l’Angleterre. La résolution pacifique prise par le cabinet britannique après l’échec de la conférence ne nous a, quant à nous, nullement surpris. Nous n’avons jamais cru que l’Angleterre ferait la guerre pour le Danemark contre l’Allemagne. Nous l’écrivions ici, il y a plusieurs mois, « l’Angleterre a une grande sympathie pour le Danemark, mais elle éprouve une répugnance non moins grande à se brouiller avec l’Allemagne. » Si l’on ne consulte que les intérêts, il est évident que, même