Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/311

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les privent de leur flèche ; l’arbre est découronné : alors les branches s’étalent horizontalement et forment des plans de verdure superposés les uns aux autres dérobant le ciel aux yeux du voyageur, qui s’avance dans l’obscurité sous ces voûtes impénétrables aux rayons du soleil. Du haut d’un sommet élevé de la montagne, le spectacle est encore plus grandiose. Ces surfaces horizontales ressemblent alors à des pelouses du vert le plus sombre ou d’une couleur glauque comme celle de l’eau, sur lesquelles sont semés des cônes violacés ; l’œil plonge dans un abîme de verdure au fond duquel gronde un torrent invisible. Souvent un groupe isolé attire les regards ; on s’approche, et au lieu de plusieurs arbres, on se trouve en face d’un seul tronc coupé jadis par les Romains ou les premiers conquérans arabes : l’arbre a repoussé du pied, des branches énormes sont sorties de la vieille souche ; chacune de ces branches est un arbre de haute futaie, et les vastes éventails de verdure étalés autour du tronc mutilé ombragent au loin la terre. Quelques-uns de ces cèdres sont morts debout, leur écorce est tombée, et, squelettes végétaux, ils étendent de tous côtés leurs bras blancs et décharnés. Les cèdres d’Afrique attendent encore leur peintre. Marilhat seul nous a fait admirer ceux du Liban ; mais ses successeurs, campés à Barbizon, s’acharnent après l’écorce de deux ou trois chênes de la forêt de Fontainebleau, toujours les mêmes, que l’amateur salue comme de vieilles connaissances à chacune de nos expositions. Des artistes éminens dépensent une somme considérable de talent à reproduire les mêmes arbres, tandis que des cèdres séculaires vivent et meurent ignorés dans les gorges de l’Atlas, où leur beauté n’est admirée que par les rares voyageurs qui s’aventurent dans ces montagnes. Un autre arbre des hauts plateaux, c’est le betoum ou pistachier de l’Atlas[1]. Au lieu de vivre en forêts comme le cèdre, celui-ci est solitaire ; de loin en loin on en aperçoit la cime arrondie, dont les Arabes cueillent les fruits. Un frêne spécial[2], deux genévriers[3], des tamaris sur les bords des lacs salés, sont également communs dans cette zone, où l’on retrouve la plupart des arbres forestiers, de la région méditerranéenne. Deux herbes, l’alfa[4] et une armoise blanchâtre[5], recouvrent souvent d’immenses surfaces d’un tapis uniforme.

Il est temps d’aborder le Sahara. Transportons-nous à Batna, à 120 kilomètres au sud de Constantine. Nous avons franchi la région

  1. . Pistacia atlantica.
  2. Fraxinus dimorpha.
  3. Juniperus oxycedrus, J. phœnicea.
  4. Stipa tenacissima.
  5. Artemisia herba-alba