Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

semble placé sur la limite comme une borne gigantesque ; les eaux de son versant septentrional descendent à travers le Ravin-Bleu vers le Rummel et la Méditerranée, celles du versant méridional par le Ravin-des-Cèdres dans le torrent qui passe sous le pont d’El-Kantara. Après avoir franchi le col, un caravansérail, celui de Ksour, est le premier poste que l’on rencontre. De magnifiques sources s’échappent des marnes crétacées, conservant, le 18 novembre 1863, une température de 17 degrés, quoique celle de l’air fût seulement à 10 degrés. D’immenses troupeaux de moutons blancs et de chèvres noires, suivis de leurs bergers arabes, descendaient dans le ravin sans se confondre, et des femmes sahariennes, portant à leurs oreilles de grands anneaux circulaires, remplissaient des outres qu’elles chargeaient sur des ânes ; c’était une scène biblique encadrée dans un paysage grandiose et sévère : au loin, vers l’ouest, les cimes abaissées de l’Atlas, et à l’est, celles de l’Aurès, qui fuyaient à l’horizon ; devant nous, une plaine nue parsemée de maigres champs de céréales et terminée par le Col-des-Juifs. Après l’avoir franchi, nous arrivâmes au poste des Tamarins. Le torrent issu du Pic-des-Cèdres, grossi des sources du Ksour, coule toujours dans des marnes où il s’est creusé un lit profond à berges verticales. De grandes pierres taillées, les unes debout, marquant les pieds-droits des portes ; la plupart gisant sur le sol signalent un ancien poste romain, et le caravansérail français porte le nom des Tamarins à cause des nombreux tamaris[1] qui bordent les rives du torrent. Les Tamarins sont encore à 790 mètres au-dessus de la mer. Le ciel était noir du côté de Batna, bleu du côté du- Sahara ; un air tiède nous arrivait du sud, nous sentions les approches du désert. Après les Tamarins, la route descend les pentes ravinées de montagnes dénudées, sans arbres, sans végétation autre que les souches des arbrisseaux défendus par leurs épines ou leur dureté contre la dent des moutons et des chameaux. Partout les eaux éphémères des pluies hibernales ont raviné le sol et mis à nu les marnes aux couleurs variées. Nulle végétation ne peut s’établir sur ces terres argileuses craquelées par le soleil. C’est un aspect désolant qui rappelle les descriptions de l’Arabie-Pétrée. Bientôt le chemin arrive à la jonction des deux torrens ; un poste romain, ad duo flumina, est placé au confluent. Une puissante montagne, le Metlili, composée de feuillets concentriques comme ceux d’un immense artichaut, est devant nous ; à gauche se dresse une muraille continue de rochers, le Djebel-Gaouss. Tout à coup une fente apparaît au milieu de la muraille, c’est

  1. Tamarix gallica.