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ses compagnons à l’endroit fixé pour le rendez-vous, il entra résolument dans le grand fleuve, s’abandonna au courant, échappa miraculeusement aux rapides, aux tempêtes, au pororoca (marée de l’Amazone), et, s’élançant dans l’Océan sans boussole, presque sans provisions, atteignit enfin l’Espagne après des péripéties inouïes, annonçant partout qu’il avait traversé des fleuves dont les sables étincelaient d’or et de pierres précieuses. La fièvre des découvertes aventureuses avait alors atteint son apogée. Colomb, Cortez, Balboa, Pizarre, Almagro, étaient autant de héros d’un nouveau romancero. La relation d’Orellana n’offrait rien que de très ordinaire, auprès des fabuleux exploits de ses devanciers. Tout paraissait possible à de tels hommes. Ces récits, qui plaisaient si fort à l’imagination castillane, ces cris de l’eldorado répétés dans toute la Péninsule, ne pouvaient manquer d’avoir de l’écho en Portugal.

Cabral avait déjà touché au Brésil, et c’était ce territoire qu’Orellana venait de traverser. Du reste, l’époque se prêtait on ne peut mieux à ce genre d’aventures. Les bras qui guerroyaient naguère contre les Maures s’étaient tout à coup trouvés inoccupés, et la société d’alors, toute féodale et militaire, dédaignant l’industrie et le travail, ne plaçait la richesse que dans la possession des métaux précieux. Toutefois ce ne fut guère qu’à la fin du XVIIe siècle que commencèrent les sérieuses recherches des sables aurifères du Brésil. Ce retard semble tenir à plusieurs causes. La route de l’Inde, que les Portugais venaient de découvrir avec Vasco de Gama, leur valait trop de bénéfices certains pour qu’ils la délaissassent en vue d’une autre moins sûre. D’ailleurs, au lieu de ne rencontrer dans leur nouvelle conquête que des peuplades timides comme les Aztèques et les Péruviens, ils avaient à la défendre à la fois contre les Hollandais de Maurice de Nassau, les Français de Villegagnon et les indigènes eux-mêmes, rudes guerriers qui ne cédaient le terrain que peu à peu, d’autant plus redoutables que leurs flèches semblaient lancées par des mains invisibles, et dont les retours offensifs étaient fréquens et terribles. Enfin les gisemens aurifères, loin de se trouver sur le bord de la mer comme du côté du Pacifique, étaient cachés dans les montagnes de l’intérieur et séparés de l’Atlantique par des forêts infranchissables. Aussi les premières années qui suivirent la découverte furent-elles pour ainsi dire exclusivement consacrées à courir sus aux Indiens sous prétexte de les convertir « à la vraie foi, » et à exporter en Europe les productions végétales que donnent les tropiques. Lorsque les tribus les plus redoutables eurent été exterminées ou du moins réduites à l’impuissance, et que les escadres hollandaises eurent définitivement quitté le Brésil, alors seulement purent commencer des explorations sérieuses,