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prendre la route de Rio-Janeiro. Pour échapper, à la sortie du district, aux minutieuses recherches de l’administration, on ne saurait dire toutes les ruses qu’ils employaient. Tantôt c’étaient des pigeons voyageurs qui passaient la frontière, tantôt c’était une crosse de fusil creusée à l’intérieur qui servait de cachette ; d’autres fois c’étaient des esclaves à qui l’on faisait avaler des pierres. La délation avait alors un beau rôle à jouer, et se donnait carrière à son aise. Un pauvre matelot étranger, s’étant un jour oublié, dans un moment d’ivresse, vis-à-vis de l’autorité brésilienne, fut condamné aux présides. Cependant, comme sa vie passée était irréprochable, on commua sa peine, et on l’envoya travailler au lavage des terrains diamantifères. Sa détention devait être de courte durée. Cet homme fut bientôt au courant des ruses qui permettent aux noirs de tromper la surveillance des feitors (inspecteurs), et profita de sa captivité pour se faire, à l’insu de tout le monde, une petite collection de brillans qui devait lui assurer pour ses vieux jours une vie moins agitée que son existence de marin. Une blessure au pied, qu’il entretint avec le plus grand soin, lui rendit indispensable l’usage d’un bâton. Du reste, sa conduite exemplaire pendant tout son séjour au district diamantin lui avait concilié l’amitié de ses chefs ainsi que de ses camarades, et personne n’eût soupçonné ses fraudes. Le jour de son départ étant venu, il s’achemina clopin-clopant vers Rio-Janeiro, passa la barrière du district sans encombre, et arriva enfin dans la capitale. Son premier soin, comme on le pense bien, fut de chercher un bâtiment en partance pour l’Europe, car il avait de bonnes raisons de quitter le pays en toute hâte. Malheureusement, aucun navire ne se trouvant prêt à mettre à la voile, il dut se résigner à attendre quelques jours. Ce délai le perdit. Cédant à ses vieilles habitudes de marin et voulant tuer le temps, il fit la connaissance d’une mulâtresse et eut la faiblesse de s’attacher à elle. Bientôt sa passion devint si vive qu’il résolut de l’emmener avec lui. La veille de son départ, il lui avoua qu’il était riche, et qu’il ne dépendait que d’elle de partager sa fortune. En même temps il fit tomber de son bâton de voyage, creusé à l’intérieur, toutes les pierres qu’il y avait cachées. La mulâtresse n’eut garde de refuser, et le pauvre diable s’endormit sur cette promesse, rêvant sans doute à son bonheur futur. Tout à coup, au milieu de la nuit, il voit sa chambre envahie par une escouade de permanens qui viennent le sommer de leur livrer sa canne. Pendant son sommeil, sa chère maîtresse était allée prévenir la police. Loin de fuir les regards de celui qu’elle venait de trahir d’une manière si révoltante, elle assista à la visite domiciliaire avec l’air souriant d’une personne qui vient de faire une bonne action. Son compagnon lui ayant demandé le motif de sa dénonciation, elle répondit le plus naïvement du monde