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renommée et inscriraient le nom de Gustave III parmi ceux des coryphées du siècle. Le tableau de ses heureux efforts pour épier et capter, au commencement de son règne, une si utile faveur intéresse à la fois l’historien de Gustave et celui de la société française pendant les dernières années du règne de Louis XV.

La révolution suédoise répondait précisément à quelques-unes des préoccupations les plus vives alors dans notre pays. La profonde agitation qu’avait excitée la chute des parlemens durait encore. Avant le coup d’état du chancelier Maupeou, on n’avait vu que leurs erreurs et leurs fautes : depuis on se prenait à les regretter ; on se demandait s’ils n’étaient pas au fond animés de patriotisme, et si l’autorité qu’ils ambitionnaient n’eût pas comblé une grave lacune de la constitution française en opposant une barrière aux excès du pouvoir royal. Louis XV paraissait n’avoir consulté dans cet acte final, comme pendant tout son règne, que les intérêts de son absolutisme ; il avait achevé de détruire toutes les illusions de ceux qui se préoccupaient d’un régime plus libre. À cette inquiétude qu’inspirait la situation intérieure venait s’ajouter le trouble très réel qui s’était emparé de la conscience publique en présence du premier partage de la Pologne. Déjà on avait ressenti douloureusement nos désastres, consacrés par la paix de 1763, et le duc de Choiseul n’avait relevé un instant la politique extérieure que pour léguer à l’inhabile d’Aiguillon une tâche rendue plus difficile par le contraste et par la déception générale. On méditait sur les conditions nécessaires à la vie des peuples, sur les liens de solidarité qui les doivent unir entre eux. À ce double titre, le partage de la Pologne avait suscité en France des craintes et des scrupules qui se traduisaient, nous le verrons, par d’éloquentes sympathies.

Nul moment n’était mieux choisi pour intéresser la France à la Suède. Là aussi une représentation incomplète du pays, destinée en apparence à défendre la liberté, et qui en affichait très haut la prétention, avait été détruite par le pouvoir ; mais la ressemblance n’allait pas plus loin. La diète suédoise n’avait eu en effet d’autre inspiration que celle de l’égoïsme et s’était montrée absolument incapable de venir en aide à la constitution. Gustave l’avait renversée non pas pour s’affranchir lui-même et dominer en maître, mais pour commencer sans doute un beau règne, qui, répondant à l’idéal rêvé par le XVIIIe siècle, serait le règne de la justice et de la philosophie. L’organisme usé de la société française, auquel présidait le vieux roi Louis XV, paraissait voué à une dissolution prochaine, tandis que le jeune souverain du Nord, s’emparant des forces vives, allait régénérer un peuple. La révolution suédoise avait encore l’avantage d’opposer à la déplorable défaite de la Pologne une