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auprès d’eux. Gustave paraît toutefois n’avoir pas eu les sympathies de la charmante maîtresse de la maison. Il y a dans la correspondance de Mme Du Deffand une jolie lettre de Mme de Choiseul qui montre qu’elle a très bien pénétré le sens des perpétuelles flatteries adressées par le roi de Suède au grand-papa et à la grand’maman[1]. Elle a deviné que tant de complimens n’ont d’autre but que de se ménager la bonne volonté de Choiseul pour le cas où il reviendrait aux affaires ; elle sait qu’on tient le même langage à d’Aiguillon : elle s’en irrite, et finit par écrire à la chère petite-fille que son roi de Suède « n’est qu’un petit intrigant. » — Cependant elle ajoute : « Le seul comte de Creutz est resté bon, franc, loyal, galant homme, et plein d’amour pour M. de Choiseul. On voit que Gustave ne fût pas resté sans appui dans la place ; quelle que pût être sa mésaventure auprès de la spirituelle duchesse, il saurait entretenir à Chanteloup le souvenir d’intimes et anciennes relations, et il pouvait compter d’ailleurs sur la communauté persistante des intérêts politiques.

En présence d’un roi insouciant et sexagénaire, d’un ministère impuissant, d’une favorite dont le crédit paraissait menacé, il y avait pourtant une jeune cour à qui appartenait l’avenir, et qui occupait fort l’attention de Creutz :


« Ceux, dit-il, qui sont mécontens de la cour en général (le nombre en est grand) placent toutes leurs espérances sur Mme la dauphine[2]. Cette princesse a infiniment d’agrémens et de grâce : elle est vive, impétueuse, mais pourtant avec de la raison et de l’empire sur soi-même ; elle a sur son mari un pouvoir absolu. — M. le dauphin aime la justice et la vérité ; il n’a pas de favoris et redoute les flatteurs. Une des premières influences qu’il ait subies est celle de Mme de Marsan : elle lui a fait remarquer les abus qui se commettent, les déprédations, les injustices, les exactions des grands ; elle lui a rappelé les principes de son père, l’a engagé à parcourir les papiers qu’il avait laissés, et où feu M. le dauphin lui donnait des préceptes de mœurs, de conduite et d’administration sévères. Tout cela a fait faire au prince des réflexions utiles dans l’âge où les impressions sont le plus vives et où l’on embrasse avec ardeur ce que l’on croit vrai. M. le dauphin sent que son éducation a été négligée, et il tâche de s’instruire. Pour le roi personnellement, cette jeune cour est parfaite ; sans faire de politesses marquées à Mme Du Barry, elle ne lui donne aucun sujet de plainte. Mme la dauphine lui a parlé pour la première fois au premier jour de l’an 1772, ce dont la comtesse et son parti ont été tout glorieux. »


Du côté de cette jeune cour, Gustave III n’avait pas de très fortes

  1. On sait que Mme Du Deffand désigne toujours ainsi le duc et la duchesse de Choiseul, ses parens.
  2. Marie-Antoinette.