Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/373

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en vers l’œuvre récente du chancelier, qu’il comparait aux travaux d’Hercule alors même que l’esprit public la flétrissait. Les Lois de Minos furent soupçonnées d’être un nouvel hommage à la révolution parlementaire, et ce soupçon ne laissait pas que de susciter des obstacles à l’admission de la pièce. La révolution de Suède survint quand Voltaire était dans cet embarras ; l’occasion lui parut favorable d’attacher une amorce de plus aux Lois de Minos en leur prêtant d’autres allusions, et il ne fit aucune difficulté d’appliquer à Gustave ce qu’il avait écrit à l’adresse de Stanislas ou de Maupeou. Le grand-prêtre fanatique représenta l’ordre du clergé, qui faisait partie, comme on sait, des diètes suédoises, et qui était partout bon à dénoncer ; l’orgueilleux Mérione fut, dit Voltaire lui-même, ce pauvre baron Rudbeck, qu’on a vu joué par Gustave III la veille du coup d’état, et qui avait tenté d’organiser une résistance. « On dit que les mourans prophétisent, écrit Voltaire en septembre 1772 ; je me trouve peut-être dans ce cas. Je fis, il y a trois mois, une assez mauvaise tragédie. Il s’est trouvé que c’était mot pour mot, dans deux ou trois situations, l’aventure du roi de Suède. J’en suis encore tout étonné, car en vérité je n’y entendais pas finesse. C’était le roi de Pologne qui devait jouer le rôle de Teucer, et il se trouve que c’est le roi de Suède qui l’a joué ! » Voltaire ne persuada pas tout le monde : on examina, on discuta ; Mme du Deffand[1] opinait pour l’allusion suédoise ; Mme de Choiseul persistait à croire que l’intention secrète avait été l’éloge du chancelier. Ce qui importait à Gustave dans ce débat, c’était que les Lois de Minos porteraient dorénavant son étiquette, et lui vaudraient une sorte de popularité : Voltaire fut l’oracle décidément favorable. Le roi de Suède. eut grand soin d’entretenir le zèle utile du patriarche en le prenant pour témoin de ses premiers actes, conformes sinon aux principes, au moins aux formules du XVIIIe siècle. L’ordonnance suédoise sur la liberté de la presse, à peine publiée, fut traduite pour être envoyée à Ferney. Voltaire une fois gagné, les disciples suivirent. Les lettres de d’Alembert. nous montrent qu’il s’associa aux éloges prodigués par le maître. L’admiration de Marmontel était naturellement acquise ; on se rappelle dans quelle intimité Gustave III l’avait admis. Naguère confident des hardiesses du poète, il avait fort applaudi ce chapitre XV de Bélisaire, que la Sorbonne avait si fort censuré ; c’était maintenant au poète d’exalter devant ses compatriotes les actions et le langage du souverain qui lui écrivait ces lignes : « Puisse mon règne être celui de la vraie philosophie, de cette philosophie bienfaisante qui, respectant tout ce qui

  1. Lettre du 1er novembre 1772.