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lit ces pages, qui reparaissent ici après un siècle d’entier oubli, on sent renaître quelque chose de l’émotion qui présidait à une telle scène : l’une de ces deux femmes, minée par la maladie, mais que de grands sentimens animent, est soutenue par l’espoir de faire triompher son ardente propagande dans l’esprit d’un jeune prince devenu son ami y et qui, pour le bonheur d’un peuple, aura les moyens d’appliquer ses doctrines. Grande dame, elle représente cette portion considérable de la noblesse française que le désintéressement et le patriotisme honorent. L’autre, sa fidèle et grave confidente, parfaitement, inconnue de nous en dehors de cet épisode, appartient sans nul doute à l’une des célèbres familles de cette ancienne magistrature française, qui a formé presque un nouvel ordre, comme une nouvelle noblesse dans l’état, et dont le contre-poids, s’il eût été définitivement admis dans la constitution politique, eût modifié les destinées de notre pays. Ce qu’écrivent Mme d’Egmont et Mme Feydeau de Mesmes sur de tels sujets ne dénote pas seulement de la générosité de cœur, mais aussi une vive intelligence de notre histoire, une juste prévision des maux que le despotisme devait attirer sur la nation.

Le mémoire remonte jusqu’aux premiers temps de la monarchie. On ne doit pas s’en étonner : une recherche inquiète préoccupait les esprits ; on reprenait l’enquête ébauchée au temps de la fronde. On voulait examiner et sonder toute la constitution ; il n’était plus question que des lois sur lesquelles elle était fondée ; on reprenait leurs origines, on les commentait ; de grandes idées et aussi de grands mots se mêlaient à toutes les conversations. Voltaire, dans la satire des Cabales, qui est précisément de 1772, est l’écho fidèle de ses contemporains quand il montre un énergumène qui demande ainsi des argumens à toutes les époques de notre histoire :

Mais, monsieur, des Capets les lois fondamentales,
Et le grenier à sel, et les cours féodales,
Et le gouvernement du chancelier Duprat !


Ne prenons pas en moquerie cette effervescence ; elle était généreuse ; venue un peu plus tôt, elle eût pu être féconde. C’est de ce moment du moins que date pour nous une intelligence plus complète de l’histoire de France, et Mably, dont l’école historique moderne a repris et développé plusieurs vues, procède en partie de ce mouvement. Après avoir rappelé les progrès excessifs de la royauté, Mme d’Egmont et Mme de Mesmes démontrent que deux freins restaient contre les excès possibles de sa puissance : d’abord les droits de la noblesse ; mais ils ne consistent déjà plus qu’en quelques distinctions plus idéales que réelles, « comme la possession de nos