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avec Mlle d’Aubigné ; elle épousa en avril 1744 Louis Engelbert, comte de La Marck, grand d’Espagne, mort sans enfans le 5 octobre 1773. De 1761 à 1776, elle eut, par faveur royale, la jouissance du joli pavillon du Val, situé à l’extrémité de la terrasse de Saint-Germain, et c’est de là que beaucoup de ses lettres sont datées. C’est aussi à Saint-Germain, dans l’hôtel de la surintendance, qu’elle mourut, âgée, de soixante-quatorze ans, le 29 juin 1793, échappant ainsi, au commencement de la terreur, à l’échafaud sur lequel montaient un si grand nombre de ses anciennes et brillantes compagnes. Elle y eût péri probablement une année plus tard, avec sa belle-sœur, sa nièce et sa petite-nièce, la maréchale, la duchesse d’Ayen et la vicomtesse de Noailles, dans cette fatale journée du 22 juillet 1794 dont un livre récent[1] a donné un beau récit. Ne fût-ce que par son âge, Mme de La Marck se distingue des autres confidentes de Gustave III. Née trois mois avant la mort de Mme de Maintenon, elle a recueilli les derniers retentissemens de la cour de Louis XIV, et il lui en est resté un sentiment de convenance et de dignité que reflètent ses pensées et son style : elle demeure dans une certaine réserve à l’égard des politiques et des philosophes ; elle se tient à l’écart des partis, dans une sorte d’opposition morale sauvegardant l’ancienne constitution de la France, les droits de la noblesse, ceux de la royauté, et prenant en dédain la diminution de majesté dont la cour de Louis XV et de Louis XVI lui offre l’exemple. Parmi les gens de lettres, elle protège ouvertement celui qui fait, trente années durant, la guerre aux philosophes ; Palissot lui a rendu ses bienfaits en méchantes satires, s’il est vrai qu’il l’ait voulu représenter, dans sa fameuse comédie, sous les traits de la pédante Cydalise. Nous n’aurions, pour contrôler ce jugement sur Mme de La Marck, que les lettres inédites dont nous détachons ici quelques pages. Elle paraît bien ne s’être pliée en effet qu’avec une certaine gêne au style nouveau que les allures d’un autre temps l’invitaient à prendre ; mais, tout en grondant contre le ton des femmes plus jeunes qui se mêlaient de parler et d’écrire, on ne saurait nier qu’elle n’adoptât elle-même ce qu’il y avait de généreux dans leurs appréciations sur la politique contemporaine. Cette adhésion librement consentie ne lui faisait rien abdiquer de sa retenue ordinaire, et une sincérité si parfaite doit détourner d’elle, ce semble, jusqu’au soupçon de pédantisme. On en jugera en l’écoutant parler. C’est ici encore Gustave qui prend le premier la parole avec un incontestable entrain :

  1. Anne-Paule-Dominique de Noailles, marquise de Montagu ; Paris 1864, in-8o, chapitre VII.