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d’Alexandrie[1], et qu’en tout cas la loi, les prophètes et les principaux hagiographes sont décidément reconnus partout comme des livres saints.

Ce court résumé de l’histoire du canon hébreu éclaire de ses analogies celle du canon chrétien. Deux principes, assez mal conciliés, mais l’un et l’autre d’une incontestable influence, les dominent également : d’un côté la pratique, l’utilité dont un livre fait preuve par cela même que partout on veut en profiter pour l’instruction et l’édification religieuses ; de l’autre, la tendance dogmatique à isoler la littérature consacrée, à réserver pour elle seule l’autorité surnaturelle, quand même des ouvrages qui n’en font pas partie pourraient rendre et rendent en effet des services semblables. En deux mots, la vieille querelle entre le droit absolu et le fait accompli, voilà ce qui se retrouve sous les variations des listes canoniques. Il s’agit maintenant de retracer les faits principaux qui devaient mener peu à peu de l’existence d’un corps de livres sacrés hébreux à la formation d’un corps de livres chrétiens de même ordre et de même dignité.


I

Jésus n’écrivit pas et n’ordonna pas d’écrire. Aussi bien ce qu’il avait à dire au monde n’avait pas besoin du livre pour s’implanter dans la conscience de l’humanité, ou, si l’on veut, cette conscience ne devait ressentir que plus tard le besoin de fixer par l’écriture les précieuses réminiscences qu’elle craignait de perdre ou d’altérer. Rien n’égale l’indescriptible sécurité avec laquelle Jésus proclama l’immortalité de sa parole et de son œuvre, si ce n’est le manque total de précautions qu’il prit pour les assurer aux hommes, et jamais semeur ne laissa tomber dans la terre avec plus de confiance les germes vivaces de la moisson future que le prédicateur de Nazareth ne déposa la parole du royaume dans les cœurs ardens et naïfs dont il aimait à s’entourer.

Ses disciples immédiats écrivirent très peu. C’est ce que nous dirions quand même il nous faudrait admettre l’authenticité de tous les écrits qui leur sont attribués. La prédication, l’enseignement direct, furent leur moyen de propagande à peu près exclusif. Le culte chrétien primitif s’était modelé sur celui des synagogues, ce qui s’explique aisément par le fait que la plupart des païens qui entrèrent dans l’église avaient commencé par suivre les exercices du culte juif

  1. En revanche, l’auteur de la petite épître de Jude (verset 14) croit à l’authenticité antédiluvienne de l’apocalypse composée sous le nom d’Enoch le patriarche, arrière-grand-père de Noé.