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n’est pas encore sorti de son devenir, comme dirait un hégélien ; mais le sol primitif est solide, et les fondemens, le premier étage de l’édifice, sont désormais inébranlables. Les quatre Évangiles, les Actes des apôtres, les treize épîtres de Paul (les trois pastorales à Timothée et à Tite ayant été ajoutées aux dix connues de Marcion), la première de Jean, feront à tout jamais partie intégrante du recueil sacré de la nouvelle alliance. À côté de ces premiers élémens, il en est qui ne sont pas encore admis partout, l’épître aux Hébreux par exemple. C’est en Orient qu’elle est accueillie le plus tôt. L’Apocalypse, fort goûtée encore en Occident, a vu son crédit baisser beaucoup en Orient, où la réaction contre les idées millénaires a déjà commencé. L’épître de Jacques manque généralement ; la seconde de Pierre n’est admise que par le Claromontanus. Ce sont les épîtres dites catholiques, c’est-à-dire ayant une destination générale, se distinguant par là des lettres de Paul, qui toutes ont une adresse bien déterminée, ce sont ces épîtres qui tiennent, dans la formation du canon chrétien, la place des hagiographes dans celle du canon juif : ce n’est que lentement, et non sans résistance, qu’elles s’élèvent à l’autorité canonique.

À quoi faut-il attribuer qu’un livre vénéré dans une région comme inspiré et faisant autorité se voie ailleurs soupçonné ou repoussé ? A toute sorte de causes, excepté à des déclarations émanant d’autorités officielles. C’est le suffrage populaire qui est souverain. C’est lui qui fait et défait les livres sacrés. Cet écrit plaît au sentiment chrétien populaire dans une partie de l’empire pour la même cause qui fait qu’il déplaît ailleurs. Ainsi, selon que, dans une contrée, les chrétiens seront enclins ou non aux rêveries millénaires, ils accueilleront ou repousseront l’Apocalypse. L’épître aux Hébreux contient un enseignement qui semble donner raison aux novatiens et autres sectes rigides n’admettant pas que le péché commis après le baptême soit rémissible : elle sera donc longtemps mal vue à Rome, où la majorité incline à des idées plus indulgentes. La même épître est pleine d’allégories, donc elle sera de prime abord la -très bienvenue en Égypte.

Vue de loin, pendant cette période, l’église ressemble à un immense appareil d’assimilation et d’élimination qui fonctionne de manière à réunir peu à peu, mais non sans hésitations prolongées, les divers alimens dont le corps peut se nourrir ou qu’il peut supporter, et à rejeter finalement ce qui se montre décidément rebelle à l’appropriation des consciences. Avant tout, l’église se cherche elle-même dans le Nouveau Testament, qu’elle veut superposer à l’Ancien.

Cependant l’idée du canon se dégage de tout ce mouvement confus.