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satiriques contre M. Boulgaris et le parti démagogique. Aussi bien dans leurs propos que dans leurs chansons, les classes laborieuses laissaient éclater un grand esprit d’hostilité contre les révolutionnaires. Quand on faisait trop de bruit dans un cabaret, le premier mot de ceux qui intervenaient pour rétablir le calme était : « Frères, un peu plus de tenue ; nous ne sommes pas ici à l’assemblée nationale ! »

Je ne sais si la population athénienne a conservé depuis l’année dernière la même ardeur pour le service de la garde nationale ; mais c’était alors un zèle sans égal, zèle qui tenait à la fois à un sentiment viril des devoirs du citoyen en temps de révolution et à la joie enfantine d’endosser un uniforme militaire et de posséder un beau fusil à baïonnette. Les Grecs ont en effet, comme tous les Orientaux, la passion des armes : autrefois ils aimaient à suspendre au mur de leur chambre deux ou trois de ces longues carabines turques à la crosse décorée d’incrustations, aux capucines ciselées et dorées ; maintenant qu’ils ont reconnu l’infériorité de ces armes et surtout les avantages de la baïonnette, avoir un fusil de munition de fabrique européenne est la grande ambition de tous les gens du peuple. Au reste, les gardes nationaux, prenant leur rôle au sérieux, faisaient consciencieusement l’exercice tous les dimanches et tous les jeudis, et ils avaient bonne tournure sous les armes avec le pantalon gris à large bande rouge, la tunique noire à gros boutons de cuivre jaune et le képi garance, imité de celui de nos chasseurs d’Afrique, costume d’un aspect infiniment plus martial que le disgracieux habit bleu clair imposé par les Bavarois à l’armée.

Ce qui donnait surtout à la bigarrure ordinaire des rues d’Athènes un accent plus pittoresque, c’était la résurrection de l’une des plus vieilles habitudes nationales, effacée depuis quelques années dans la capitale par le progrès des coutumes européennes. Les mœurs grecques, dans leur état de demi-barbarie, offrent un curieux « mélange de féodalité et de démocratie. Tout homme politique influent à une nombreuse clientèle de gens de sa province installés chez lui, nourris à ses frais, qui le servent sans autre salaire, gardent sa maison et se battent pour lui quand il leur en donne l’ordre. Chez les anciens officiers de la guerre de l’indépendance, ce sont des compagnons d’armes ; chez des hommes de la nouvelle génération, les fils de la clientèle formée par le père. C’est là ce qu’on appelle en Grèce la queue d’un personnage marquant : plus il a d’importance, plus sa queue est nombreuse. On ne saurait s’imaginer le dévouement d’une clientèle de ce genre : chacun de ceux qui la composent est prêt à se faire tuer pour le patron ou à exécuter ses commandemens sans les discuter ; mais dans ce dévouement librement