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dont il était l’objet. Chez ses rivaux, on entrait sans difficulté ; tous cependant avaient leur maison gardée. Chez M. Coronéos, on rencontrait des soldats des corps qui lui étaient demeurés fidèles dans les journées de juin ; chez M. Grivas, des pallikares acarnaniens. M. Grivas en avait eu même jusqu’à trois cents, avec lesquels il avait exécuté le coup de main du 20 février 1863. À la tête de ces hommes, auxquels était venu se joindre un certain nombre de soldats et de gardes nationaux, le fils de l’ancien ami de Colettis s’était alors emparé d’une forte position stratégique à la porte de la ville. De là il avait tenu tête pendant deux jours au gouvernement provisoire jusqu’au moment où l’assemblée nationale, s’interposant entre les deux partis pour faire cesser le conflit, avait déclaré prendre en main l’exercice direct du pouvoir exécutif, enlevant ainsi l’autorité suprême à ceux qui en avaient fait un si fâcheux usage depuis la chute du roi Othon.

Dans la rue, chacun des chefs de partis était suivi à une distance respectueuse par un groupe de cinq ou six grands gaillards en fustanelle, le sabre au côté et les pistolets à la ceinture, qu’il était curieux de voir passer à la promenade au milieu des habits francs, de plus en plus nombreux dans Athènes ; mais c’était surtout dans la cour de l’assemblée nationale qu’il fallait les voir, un peintre y eût trouvé d’admirables modèles. Là, tandis que les pères conscrits s’attaquaient les uns les autres à coups de discours et se disputaient avec acharnement les ministères, on voyait une centaine de pallikares armés qui les attendaient pour les accompagner à la sortie ; quelques-uns dormaient au soleil, étendus sur leurs capotes en poil de chèvre ; d’autres demeuraient dans un silence impassible, sans cesser de rouler entre leurs doigts et de fumer ces cigarettes d’énorme calibre dont l’usage est particulier aux Hellènes ; quelques autres enfin, mêlés aux habitués des tribunes publiques, péroraient sur la politique et débattaient les questions soulevées dans l’intérieur de la salle. C’était tout à fait une assemblée au petit pied, comme celle que les laquais des membres du parlement tenaient sous George Ier à la porte du palais de Westminster[1].

Maintenir la tranquillité au milieu d’élémens de ce genre, empêcher des collisions sanglantes d’éclater à chaque instant entre ces hommes armés au service de partis ennemis, n’était pas une petite tâche. La garde nationale devait y suffire seule : aussi son service était-il infiniment actif et pénible ; mais elle ne faiblissait pas sous le fardeau, et son zèle ne se lassait pas. Sans compter les prises

  1. Voyez sur la Société anglaise au dix-huitième siècle l’étude de M. de Witt dans la Revue du 1er janvier 1864.