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former des hommes. D’autres qualités non moins précieuses, l’honnêteté désintéressée de leurs chefs de parti et l’éloquence de quelques-uns de leurs orateurs, promettaient l’infusion d’un sang nouveau dans l’assemblée hellénique, qui, à mesure que son existence se prolongeait, tournait chaque jour davantage au parlement croupion, pour nous servir d’une expression consacrée par l’histoire d’Angleterre. Ce qu’il y avait en effet de plus fâcheux dans cette assemblée, c’était la mollesse et la timidité des honnêtes gens. Pour deux ou trois députés, comme MM. Théodore Délyannis, Milissis et Saripolos, qui s’étaient honorés en combattant courageusement les démagogues, combien n’en avait-on pas vu d’autres, orateurs plus renommés, renoncer à la lutte devant les clameurs de la gauche ameutée et se renfermer dans une attitude silencieuse ! Les hommes d’opinions conservatrices étaient, somme toute, en nombre égal à celui des anarchistes dans le sein de la constituante, mais ils n’avaient ni leur audace ni leur activité ; ils étaient désunis, flottans, sans énergie, et par-dessus tout ils manquaient d’une direction vigoureuse. C’est justement là ce que les Ioniens devaient leur apporter en venant se joindre à eux.

Aux difficultés inévitables de la situation s’en ajoutaient d’autres non moins grandes, et que rien ne faisait prévoir. L’annexion des Iles-Ioniennes par exemple, qui semblait devoir s’accomplir immédiatement, fut retardée de plusieurs mois par le traité du 14 novembre 1863. Tel qu’il avait été rédigé d’abord et conclu entre les grandes puissances de l’Europe, ce traité, on l’a vu, ne pouvait recevoir la signature du gouvernement du roi des Hellènes ; il fallait donc, pour en obtenir l’adoucissement, entamer de nouvelles négociations, qu’une des puissances intéressées fit traîner en longueur. Les humiliantes dispositions du traité portaient atteinte au prestige moral que la royauté aurait eu si grand besoin de conserver intact. L’opinion publique reprochait avec irritation et méfiance au conseiller du souverain de n’en avoir point pris connaissance pendant son séjour en Angleterre, et de n’avoir pas fait du retrait de ces clauses une condition absolue de l’acceptation définitive de la couronne. Cependant la difficulté de faire coexister l’assemblée et la royauté s’aggravait, en se prolongeant, par l’affaiblissement du crédit de l’autorité royale, et surtout parce qu’on n’entrevoyait plus de terme probable à toutes ces épreuves. Après avoir refusé de dissoudre l’assemblée quand la prise de possession du pouvoir par le roi en donnait l’occasion et le prétexte, force était de la garder jusqu’au vote de la constitution ; mais on ne pouvait faire commencer les débats de cette constitution, qui devait régir également les Iles-Ioniennes, sans que leurs députés pussent y prendre part. Ainsi le résultat du traité du 14 novembre