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était facile de prévoir, une averse abondante de pierres météoriques. On les a vues tomber au-dessous du point où l’explosion s’était faite, dans un étroit espace compris entre les villages de Mont-Bequi, Campsas, Nohic et Orgueil. Elles arrivaient obliquement de l’ouest vers l’est, par l’effet naturellement combiné de leur vitesse primitive et de la pesanteur, et elles arrivaient chaudes : un paysan se brûla, voulant ramasser l’une de ces pierres tombée dans son grenier, et on remarqua que le gazon où elles s’étaient arrêtées avait été jauni par ce contact. La surface en était recouverte d’un enduit noir ressemblant au vernis que tout le monde a pu remarquer sur les briques trop cuites, ce qui démontre que ces pierres avaient éprouyé dans l’air une fusion superficielle, fusion que d’ailleurs on a pu reproduire après coup en les réchauffant dans la flamme d’un chalumeau. Et comme il a fallu, pour le faire, les chauffer jusqu’au rouge blanc, on est obligé d’admettre qu’elles avaient atteint au moins cette température avant la chute.

Comme ces pierres viennent du ciel, on éprouve une première curiosité qui est bien naturelle, on veut savoir quelle en est la composition chimique, et c’est presque avec chagrin qu’on apprend qu’elles ne diffèrent en rien des matières terrestres. La météorite d’Orgueil a été analysée par M. Cloez : elle est noire, molle, se pétrit presque ; elle trace des lignes comme un crayon ; elle contient du sulfure de fer magnétique en petits cristaux qui brillent au milieu de la masse. Elle renferme 5 pour 100 de charbon : c’est ce corps qui lui donne sa couleur. La présence du charbon dans les aérolithes avait déjà été constatée ; mais elle y est tellement rare qu’on n’en citait que trois exemples avant celui qui nous arrive aujourd’hui. Il n’y est point à l’état libre ; il est combiné avec de l’hydrogène et de l’oxygène, et, chose bien singulière, il constitue un composé pour ainsi dire identique avec la tourbe, qui se forme dans nos marais par la décomposition des végétaux aquatiques. Quant à l’origine à cette place de cette matière curieuse, il est clair qu’elle est et que peut-être elle restera toujours ignorée. Enfin M. Cloez a trouvé dans la météorite nouvelle une grande quantité de sels solubles qui servent de ciment pour réunir et faire adhérer la masse, de façon qu’étant plongée dans l’eau elle se délite et tombe au fond du vase. Ainsi les pluies vont désagréger sur le sol les fragmens que l’on n’a pas recueillis, et le globe aura acquis, sans en garder la moindre trace, ces parcelles empruntées peut-être à d’autres mondes.

Tous ces détails, plus pittoresques que scientifiques, suffisent pour nous donner l’idée générale du phénomène ; mais ils ne nous apprennent absolument rien touchant sa nature, son origine et sa marche. Une foule de questions se présentent à l’esprit, et pour les résoudre on sent qu’il faut avant tout tracer dans le ciel le trajet suivi par le bolide, ou, comme disent les savans, la trajectoire qu’il a parcourue. M. Daubrée a confié cette partie du travail au commandant Laussedat, professeur à l’École polytechnique, dont la spécialité en ces sortes de matières est légitimement acquise, et qui s’est aussitôt mis à l’œuvre.