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tendent à prendre dans les affaires des peuples un empire dangereusement prépondérant, assez attesté par cette multitude d’incidens qui éclatent un peu partout, où l’imprévu joue un si grand rôle, et le monde, lassé à la fin, demanderait volontiers à ceux qui le conduisent de lui parler un peu moins d’ordre, de civilisation, de paix, sauf à conformer un peu plus leur action à ces principes, qu’ils invoquent sans les respecter. L’Europe, qui devrait donner l’exemple de la justice, n’est pas exempte de ces troubles, et l’Amérique, en dehors même de cette lutte sans compensation et sans issue qui se déroule comme une tragédie gigantesque aux États-Unis, en dehors de toutes ces révolutions qui se succèdent dans les états de la race espagnole, l’Amérique a sa part de violences, de brusqueries diplomatiques et d’incidens bizarres qui portent en quelque sorte le signe du temps. Un des plus récens et des plus étranges épisodes, c’est assurément le conflit dans lequel l’Espagne vient de s’engager à l’improviste avec le Pérou, et qui a fini provisoirement par la prise de possession sommaire d’une partie du territoire péruvien, de ces îles Chincha devenues par leurs dépôts de guano l’opulente ressource de la république américaine. L’Espagne, il faut en convenir, n’a point de bonheur avec l’Amérique depuis quelque temps : elle s’est engagée dans l’affaire du Mexique pour en sortir on ne sait trop comment, ne recueillant d’une action décousue qu’une déception véritable. Depuis quinze mois, elle en est à se débattre à Saint-Domingue contre une insurrection qu’elle ne peut dompter, et qui la contraint à envoyer incessamment ses soldats mourir de la fièvre. Elle a voulu peut-être relever sa politique sur un autre point du Nouveau-Monde, et par le fait elle se trouve lancée dans une aventure qui la place entre une guerre embarrassante et une retraite toujours pénible, à moins qu’elle n’en finisse au plus tôt par une sage transaction que le Pérou sera probablement heureux d’accepter.

Sans nul doute, tous ces états espagnols du Nouveau-Monde, dans leur vie troublée, offrent à l’Europe de trop faciles et trop fréquentes occasions d’intervention. Il ne faut point cependant s’y méprendre. Tout n’est peut-être pas toujours exclusivement de leur faute. Aux causes naturelles et plausibles d’intervention, aux griefs trop légitimes, viennent souvent se joindre, pour multiplier les occasions, les habitudes d’une population étrangère assez disposée à sortir de son rôle de simple neutralité et à se faire une arme de la protection qui la couvre, de telle sorte que dans le devoir de faire respecter la sécurité de leurs nationaux les gouvernemens européens sont exposés à trouver un péril incessant d’immixtion, de prépotence qui va quelquefois au-delà de leur politique. Au fond, de quoi s’agissait-il ici pour l’Espagne ? Il y a un an à peu près, des immigrans espagnols, attirés au Pérou et fixés dans l’intérieur des terres, à Talarabo, étaient l’objet de violences sanglantes. Un colon fut massacré, d’autres furent blessés. Les scènes de Talambo causèrent une vive émotion dans le pays, et le gouvernement péruvien lui-même, il faut le dire, n’hésita pas à les déférer à la justice locale, qui n’est pas toujours prompte et efficace