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pas à éclaircir cette sombre histoire. Il y a toujours des mystères, toujours des drames romanesques ou tragiques dans la destinée des Kœnigsmark. Le gentilhomme allemand et les deux bravi, convaincus tous les trois d’avoir assassiné sir Thomas Thynne, furent pendus à Pall-Mall, sur le lieu même du crime ; Charles-Jean, déclaré innocent par le jury, fut condamné par l’opinion, et condamné avec une telle véhémence qu’il dut s’enfuir d’Angleterre au plus tôt. Cette lugubre aventure ne l’empêcha pas d’être bien accueilli dans une cour où l’on se souvenait encore des services de son oncle. Il était plein d’ardeur, plein de feu, impatient d’effacer la tache imprimée à son nom. Le roi lui donna le régiment de Furstenberg ; il prit part au siège de Courtray (1683) et y déploya une bravoure éclatante. Couvert de blessures, condamné quelques mois à un repos qui lui pèse, il se hâte, dès qu’il peut se lever, d’aller rejoindre son régiment en Catalogne ; il arrive au camp des Français la veille du combat de Pont-Mayor, et il étonne l’armée par son audace. Ce fut lui, assure-t-on, qui décida la victoire. Il fit aussi des prodiges de valeur au siège de Girona. Bientôt pourtant l’intolérance de la cour lui inspira une généreuse horreur. C’était au moment de la révocation de l’édit de Nantes : il aima mieux renoncer à son régiment que de souiller son épée dans les dragonnades. Louis XIV lui avait fait entrevoir les hautes dignités militaires, s’il changeait de religion : « Sire, répondit Kœnigsmark, je me croirais indigne de servir votre majesté, si je commettais jamais pareille trahison envers le Dieu de mes pères. » Il demanda au roi l’autorisation de s’engager quelque temps au service de l’empereur d’Allemagne, sans renoncer à son établissement en France ; il voulait combattre les Turcs sous les ordres de son oncle Otto-Wilhelm. Le roi refusa, se souciant peu de donner un tel soldat à une puissance ennemie. Charles-Jean, qui n’avait pas renoncé à son projet, ne tarda pas à obtenir pour la république de Venise ce qui lui avait été interdit pour l’Autriche. Il prit part aux luttes de la cité des doges contre les Ottomans. Ces expéditions, que son oncle Otto-Wilhelm dirigeait avec tant de vigueur, lui fournirent de glorieuses journées. Au siège de Modon, sous les murs de Navarin, le jeune Kœnigsmark était toujours le premier à l’assaut ; il eut un cheval tué sous lui à la bataille d’Argos, et il fit si bien son devoir au milieu de la mêlée, il donna et reçut tant de coups homériques, que le soir même du combat, saisi d’une fièvre chaude, il mourut dans la nuit (1686). On voit que Charles-Jean n’avait pas renoncé au service de la France, puisqu’il n’avait pas voulu partir sans, l’autorisation de Louis XIV. Charles-