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palais du marquis de La Chétardie, devant lequel se dressait une illumination splendide avec deux fontaines jaillissantes, l’une de vin blanc, l’autre de vin rouge. On entre ; la tsarine s’habille et prend place au souper du marquis. « Il était près de six heures du matin, écrit un témoin oculaire, lorsque sa majesté, faisant honte, au soleil par sa beauté, se retira très satisfaite. » Un soleil russe, il est vrai, un soleil noyé.

« Mais qu’est donc venu faire ici le comte Maurice ? se demandaient les courtisans, de plus en plus ébahis, et que présage cette réception impériale ? » On aurait pu leur répondre avec Shakspeare : Much ado about nothing ; beaucoup de bruit pour rien, tel est le résumé de ces fêtes moscovites. La tsarine aimait les folies fastueuses de La Chétardie, elle n’aimait pas ses intrigues. Après lui avoir accordé aveuglément sa confiance, elle commençait à la lui retirer peu à peu. « Je m’en rapporte à mes ministres, » lui disait-elle vers cette époque au sujet d’affaires plus importantes. Et les ministres, fort jaloux de La Chétardie et de Lestocq, s’empressaient de les éconduire avec cette phraséologie diplomatique où les Russes ont excellé du premier coup. Quand les deux protecteurs de Maurice conjurèrent le ministère moscovite de se montrer aussi bienveillant pour lui en Courlande que l’impératrice à Moscou, il leur fut répondu avec une politesse un peu sèche : « L’arrivée du comte de Saxe à Moscou n’a pu qu’être fort agréable à l’impératrice. Quant aux affaires de Courlande, l’impératrice, ayant déjà recommandé la candidature du landgrave de Hesse, ne saurait se donner un démenti. Toutefois, comme sa majesté ne veut faire violence ni à la république de Pologne, ni au roi Auguste III, ni aux Courlandais, comme elle veut que le duché de Courlande conserve les droits et franchises de sa vieille constitution, elle ne sera point hostile à la candidature du comte de Saxe. » C’était bien, à peu de chose près, ce que le cardinal Fleury avait demandé pour Maurice ; mais La Chétardie et Lestocq avaient eu de bien autres espérances quand ils avaient invité le vainqueur de Prague à leurs fêtes de Moscou. Maurice s’en alla donc comme il était venu ; son duché de Courlande était décidément une chimère. Il repartit le 4 juillet. Le marquis, avec une nombreuse escorte de grands seigneurs, l’accompagna jusqu’à un village éloigné de quinze verstes, où il lui donna encore un souper qui dura toute la nuit.

Cette escapade moscovite faillit causer d’assez graves embarras au comte de Saxe. On lit dans les Mémoires du duc de Luynes, à la date du mois d’août 1742 : « M. le comte de Saxe, qui était allé en Russie à l’occasion de ses prétentions sur le duché de Courlande, est revenu à Dresde, d’où il est parti presque aussitôt pour aller en