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plus grande conséquence… La précipitation avec laquelle je vous dépêche ce courrier ne me permet pas d’entrer aujourd’hui dans un plus grand détail ; mais vous recevrez dans peu de jours un mémoire détaillé sur ce chapitre, cette lettre n’ayant pour objet que de vous prévenir et de vous empêcher de faire des mouvemens qui pourraient être contraires aux vues et aux intentions du roi.

« Il est inutile de vous recommander de nouveau le secret le plus absolu. MM. les maréchaux de Broglie et de Belle-Isle sont les seuls que j’informe, ainsi que vous, de ce projet, et je l’ai fait afin qu’assurés d’une puissante diversion dans les commencemens de septembre, ils mettent tout en usage pour en attendre le succès… »


On voit que le comte de Saxe pouvait braver les défiances du duc d’Harcourt. Cependant ni le ministre de la guerre ni le cardinal Fleury n’étaient de force à maintenir la paix entre les chefs de corps, et Maurice, en butte à tant de préventions jalouses, aurait mieux fait assurément de ne pas courir encore après les aventures en Russie au moment où se préparaient pour lui des triomphes qui valaient mieux qu’un duché de Courlande.

N’importe, il fit glorieusement son devoir dans ces opérations difficiles dont le marquis de Breteuil lui avait confié le secret. Le 11 août, il écrit au comte de Brühl « du camp de Niederwaldock » qu’il a pris le commandement d’un corps d’armée, et qu’il va se joindre à Maillebois pour débloquer Broglie, « Hier, ajoute-t-il, j’ai fait frotter M. Trenck, colonel de pandours, qui s’était avisé avec dix-huit cents hommes de nous incommoder. » Trenck était un de ces chefs de bandes comme ceux qui avaient désolé l’Allemagne sous Wallenstein et Tilly ; Trenck, Menzel, Nadasti, Franquini, ces pandours de la guerre de trente ans, faisaient honte à la civilisation du XVIIIe siècle, et il y a plaisir à les voir frottés par Maurice de Saxe. Le 10 septembre, Maurice est à Donaustauf, le 16 à Weiden, en Bohême ; le 19, il rejoint le maréchal de Maillebois à Bohenstraus et reçoit l’ordre de marcher en avant. Ici commencent les luttes de Maurice et de Maillebois ; on en peut voir les échos dans les Mémoires du duc de Luynes, et les archives de Dresde confirment par d’éclatans témoignages les plaintes du comte de Saxe. Un témoin sûr, le comte Poniatowski, écrit le 1er octobre, dans une lettre conservée à Dresde : « Je n’ai jamais vu une armée aussi mal gouvernée que celle-ci. Si on nous ôtait le comte de Saxe, qui est obligé de penser à tout, je ne sais pas ou nous en serions. » Toutes les résolutions généreuses, c’est lui qui les conçoit ; tous les hardis coups de main, lui seul les exécute. Dès qu’il paraît sous les murs d’Elnbogen, la garnison capitule (10 octobre) ; c’étaient six mille Croates qui se souvenaient de l’escalade de Prague. Pourquoi le maréchal